L’AMOUR

« L’amour qui n’est pas fou n’est pas l’amour ! »
Ne confondons pas l’amour et la passion.
Au sujet du mariage forcé un psychologue anglo-indien m’expliquait : « -Pour vous autres occidentaux s’aimer, c’est manger ensemble une soupe brulante de passion. Au fil des semaines, des mois et des années, cette soupe refroidit et chacun en ressent de la rancœur à l’encontre de l’autre. Pour nous, nous acceptons de se retrouver autour d’une soupe froide. Ce faisant, nous apprenons dès le premier jour qu’il est de notre responsabilité de la réchauffer. Et nous en développons la compétence. Au final, je ne suis pas sûre que ce soient nous les plus malheureux ! »

Bien qu’il ne soit composé que de cinq lettres, le mot amour est l’un des plus grands. Qu’est-ce que l’amour ? C’est une question éternelle qui est probablement sans réponse, mais c’est quand même amusant de chercher une réponse. Mon article présente quelques approches de l’amour, principalement la plus attirante : l’amour romantique.

Le premier problème est sémantique, le mot ‘amour’ étant utilisé de façons tellement différentes. Peut-être plus que n’importe quel autre mot, « amour » peut signifier tout, ou presque rien. On l’utilise souvent sans même y penser. Quand quelqu’un dit ‘Je l’aime’ en parlant de la personne qui partage sa vie, ça ne veut pas dire grand-chose pour moi, jusqu’à ce que j’en sache beaucoup plus sur leur relation.

Signalons aussi que dans d’autres langues, le mot ‘amour’ a un usage plus limité; par exemple en polonais il est impossible de dire ‘J’aime le chocolat’.

Quelques citations

Je ne peux pas vivre avec toi ni sans toi.

En amour le paradoxe est que deux choses deviennent une et pourtant restent deux. (Erich Fromm)

Quel paradis est l’amour ! Quel enfer ! (Thomas Dekker)

La réduction de l’univers à un seul être, la dilatation d’un seul être jusqu’à Dieu, voilà l’amour. (V. Hugo)

L’illusion qu’une femme est différente d’une autre. (HL Mencken)

Dieu est Amour, j’ose dire. Mais quel Diable malin est l’Amour. (Samuel Butler)

Il en est du véritable amour comme de l’apparition des esprits : tout le monde en parle, mais      peu de gens en ont vu. (La Rochefoucauld)

Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. (Jean 15.13)

En amour, la ruse est de bonne guerre.

Si quelqu’un dit: J’aime Dieu, et qu’il haïsse son frère, c’est un menteur; car celui qui n’aime pas son frère qu’il voit, comment peut-il aimer Dieu qu’il n’a pas vu? (Jean 4.20)

Plaisir d’amour ne dure qu’un moment. Chagrin d’amour dure toute la vie. (J-P Claris de Florian)

L’amour est avant tout le don de soi-même. (Jean Anouilh)

Il n’y a guère de gens qui ne soient honteux de s’être aimés, quand ils ne s’aiment plus. (La Rochefoucauld)

Un cœur qui aime est la sagesse la plus vraie. (Charles Dickens)

Aimer et être prudent dépasse la force d’un homme. (William Shakespeare)

On ne dirait pas que toutes ces citations se rapportent à la même chose. Comment peut-on éviter la confusion ?

Prédisposition ou émotion ?

Comment pouvons-nous comprendre le crime passionnel, quand un mari jaloux tue la femme qu’il adore, ou le dicton ‘Qui aime bien châtie bien’ ?

Une grande confusion vient du fait que le mot ‘amour’ fait référence à la fois à une émotion et à une attitude ou prédisposition. L’émotion que nous ressentons dans notre cœur et que l’on appelle l’amour, est une expérience fugitive, comme tous les autres sentiments. Ca peut durer une journée, une heure ou seulement un instant. Cela ne peut demeurer permanent et immobile, pas plus que la colère ou la tristesse, aussi longtemps qu’elles puissent durer. Bien que ce soit merveilleux de ressentir cette émotion appelée l’amour, quand cette émotion est absente, elle est absente, et on ne peut la provoquer même par la meilleure volonté du monde. Contrairement à l’émotion de l’amour, l’attitude de l’amour peut être une orientation permanente.

La différence déterminante entre l’amour-sentiment et l’amour-orientation est visible dans le comportement d’une personne qui aime passionnément mais qui agit cruellement envers l’objet de son amour.

L’émotion de l’amour n’est pas une forme plus intense de l’amitié ; c’est fondamentalement différent. Certaines personnes aiment une personne mais ne l’apprécient pas. Une autre erreur courante est de voir l’orientation de l’amour comme « tout ou rien ». Si je fais quelque chose en étant complètement désintéressé, alors cet acte est une expression de mon amour, quelle que soit son importance, et indépendamment de mes sentiments pour cette personne.

Le sentiment d’amour est souvent, mais pas toujours, accompagné de l’orientation d’aimer, c’est-à-dire être gentil avec ceux qu’on aime. Pourtant, on peut prendre soin d’une personne sur une longue période de temps, pendant laquelle on peut ne ressentir de l’amour que de temps en temps, voire même pas du tout.

Stephen Covey a pointé que l’amour se fonde sur des actes, autant que par les sentiments qu’il nous inspire. Les gens conduits par leurs sentiments ne prennent pas de responsabilité en amour. Ils n’ont pas conscience que le sentiment d’amour peut se reconquérir. Il se regagne quand nous agissons d’une façon aimante : en affirmant, appréciant, en étant attentif, gentil, affectueux, en faisant de petits sacrifices et en étant généreux, en communiquant, et en cherchant à comprendre notre partenaire. Un autre exemple est de ne pas remarquer les petits défauts de l’autre personne. Il est important de réaliser que ces actions ne dépendent pas du sentiment d’amour mais que l’amour en est la conséquence. Les personnes qui agissent avec amour créent le sentiment d’amour en elles-mêmes. Evidemment c’est ainsi que l’autre personne répondra d’une façon positive.

On peut argumenter que nous avons besoin d’être créatifs pour être aimants envers les autres personnes. Par contraste, regardez le mari qui achète le même bouquet d’oeillets rouges tous les vendredis pour sa femme.

Krishnamurti a fait une distinction entre l’amour et le sentiment :

Être sentimental, être émotif, ce n’est pas de l’amour, parce que la sentimentalité et l’émotion sont seulement des sensations. Une personne croyante qui pleure au sujet de Jésus ou de Krishna, au sujet de son gourou ou de quelqu’un d’autre, est simplement sentimentale, émotive, il lui est impossible de savoir ce qu’est l’amour. Encore, ne sommes-nous pas émotifs et sentimentaux ? La sentimentalité, l’émotivité, est simplement une forme d’auto-expansion. Être empli d’émotion n’est évidemment pas de l’amour, parce qu’une personne sentimentale peut être cruelle quand on ne répond pas à ses sentiments, quand ses sentiments ne trouvent pas d’exutoire. Une personne émotive peut être motivée pour haïr, pour faire la guerre, pour massacrer. Un homme qui est sentimental, plein de larmes pour sa religion, n’éprouve sûrement aucun amour.

Scott Peck ajoute, « C’est facile et pas du tout déplaisant de trouver une preuve d’amour dans nos propres sentiments. Cela peut être difficile et douloureux de chercher une preuve d’amour dans nos propres actes. » Il cite l’exemple d’un alcoolique dans un bar qui, les larmes aux yeux, parle au cafetier de l’amour qu’il a pour sa femme et ses enfants, et qui ont besoin de son attention à ce même moment. Dans une veine différente, Chet Snow prévient de ne pas prendre l’amour pour « le manège émotionnel et égocentrique de l’attirance sexuelle et du désir de possession. »

Pour revenir aux 15 citations, toutes ne sont pas facilement classables comme émotion ou orientation. Je pense que les n° 1, 3, 5, 6, 9, 11, 13 et 15 se réfèrent clairement à une émotion, tandis que les n° 8, 10, 12 et 14 se réfèrent clairement à une orientation. Peut-être que ce que nous disent vraiment ces citations c’est que l’amour est tellement mystérieux que personne ne sait réellement ce que c’est. L’amour est comme le contenu d’une boîte noire : chacun de nous y voit ce qui lui importe le plus.

J’ai pensé à ce qu’est l’amour pour moi, personnellement, quels en sont les aspects essentiels tels que je les ai vécus. J’ai listé : l’attention, la gentillesse et l’affection, être en communion avec empathie, et la confiance. L’amour réduit la séparation entre moi et une autre personne. Je le ressens comme un lien véritable, que je vis au plus profond de moi-même.

Au regard de ma liste, il me semble que le sentiment et l’orientation ne peuvent pas être séparés. Prenons l’attention, il s’agit bien d’une orientation, mais peut-elle être séparée du sentiment ? Vous êtes sûrement attentionné parce que vous ressentez quelque chose pour cette personne ou cette chose. La gentillesse et l’affection sont des sentiments mais peuvent-elles être séparées d’une attitude amicale ? La proximité est un sentiment mais c’est aussi une décision de s’impliquer, d’accepter d’être vulnérable, de laisser tomber nos défenses. « Etre en communion avec » est évidemment un sentiment, mais il existe un autre mot pour l’exprimer : empathie, qui est une forme de relation à l’autre. L’empathie peut être juste une technique, comme dans le conseil. La confiance est une attitude mais qui est clairement chargée de sentiment.

C’est la question de l’oeuf et de la poule : est-ce que je me sens proche de ma partenaire parce que je l’ai décidé ou parce que c’est une tendance chez moi, ou bien mon attitude d’ouverture naît-elle du sentiment que j’ai quand je suis avec elle ? Il est clair que l’un se nourrit de l’autre. Quand je pense à mon amour pour elle je pense à ma relation à elle, et cette relation inclue à la fois les sentiments et les orientations, qui sont inextricablement liés.

Ainsi la division de l’amour en sentiment et orientation est quelque part artificielle. Un peu comme de parler des traces que laissent les roues avant et arrière d’un vélo, qui roulent sur le même chemin. C’est bien de se rappeler que nous, les êtres humains, sommes basiquement conduits par nos émotions. Nos attitudes et nos orientations de vie ne viennent pas d’analyses ou de pensées rationnelles, mais naissent de notre vie émotionnelle. Pourtant il me semble que diviser simplement l’amour en sentiment et orientation peut nous aider à comprendre le paradoxe des gens qui sont cruels envers ceux qu’ils disent aimer. En bref, on ne peut être égoïste et cruel envers l’autre personne si notre attitude envers elle est aimante.

A des fins d’analyses, il me semble que l’amour peut être divisé en sentiment et orientation, et que cette orientation d’amour peut être elle-même divisée en plusieurs composantes. Cependant rien de complexe ne peut être réduit à la somme de ses composants, et l’amour particulièrement. Ainsi il est important de se rappeler que ce que je présente ci-dessous n’est qu’un modèle, une façon de tenter de comprendre ce qu’est l’amour. Si cela trouve une résonnance avec votre propre expérience ou clarifie les choses alors cela aura servi à quelque chose.

L’essence de l’amour

L’amour-orientation est basiquement prendre soin de la personne que nous aimons. C’est vouloir le bien-être de l’autre personne sans aucun profit pour soi-même. L’amour est de la bonne volonté sans motivation. Nous pouvons facilement dire si nous aimons ou pas. Nous aimons si nous faisons quelque chose pour une personne purement parce que nous lui voulons du bien, sans arrière-pensée de récompense, de gratitude, ou même d’augmentation de l’estime de soi. Une indication est quand nous n’avons pas besoin que l’autre personne sache que nous avons fait quelque chose pour elle. Cela va sans dire, les actes accomplis par obligation, devoir ou culpabilité ne sont pas des expressions de l’amour.

L’amour est sa propre motivation. Etant la source ultime de motivation, il n’y a rien derrière. Il y a beaucoup d’autres motivations, tels que le plaisir, la sécurité, le pouvoir, l’acceptation, le devoir, la liberté et l’accomplissement. Ces autres motivations manquent de l’auto-suffisance de l’amour. Quand vous aimez quelqu’un, vous en prenez soin pour son propre bien, pas pour le bénéfice ou l’effet que vous en retirez. L’objet de votre amour a une valeur intrinsèque pour vous, c’est-à-dire une valeur indépendante de votre propre existence. L’amour a besoin du profit pour l’autre, sans profit pour soi-même. Peut-être en fin de compte que l’amour c’est vouloir le profit pour l’univers, pas pour notre bien individuel.

“Laisse-moi te dire comment je t’aime”

Je ne sais pas s’il est possible d’analyser le sentiment que nous appelons l’amour. Cependant, l’amour-orientation dans une relation adulte peut être analysée en composantes : l’attention, le respect, la connaissance, le don, le savoir-recevoir, l’acceptation et l’intimité. 

L’attention est primordiale. L’amour sans attention n’a aucun sens.

Vous ne pouvez pas aimer ceux que vous ne respectez pas, vous ne pouvez qu’en avoir pitié. L’amour implique une considération inconditionnelle, c’est-à-dire respecter et apprécier l’autre personne, indépendamment de ce que vous pensez de ce qu’elle fait ou dit. Il est possible de respecter même un petit enfant, d’apprécier son autonomie et de respecter ses potentialités.

Il est essentiel de connaître la personne, autrement vous pouvez n’aimer que l’idée que vous vous faites de cette personne et pas la personne elle-même. C’est ce qu’on appelle la projection – voir à l’intérieur des autres ce qui est en fait dans votre propre esprit. La connaissance impliquée dans l’amour n’est pas un élément statique ; c’est plutôt une compréhension grandissante de l’autre personne, une perception de plus en plus précise de ce que cela fait d’être elle.

Si vous n’êtes pas dans le don avec la personne que vous dites aimer, alors elle ne compte pas vraiment pour vous. Bien sûr, tous les dons ne sont pas l’expression de l’amour. Le mari accro à son boulot qui donne de l’argent mais est avare de son temps en est une illustration évidente. Donner d’une manière aimante signifie répondre aux attentes ou aux besoins des autres, pas seulement donner ce qui est facile pour vous. Connaître l’autre est indispensable puisque ne pas savoir ce dont il a besoin peut saboter votre don. La transaction – je te donne ceci si tu me donnes cela – n’est pas non plus une expression de l’amour.

La nécessité de savoir recevoir est moins évidente. Si vous savez donner mais pas recevoir, cela signifie que vous ne vous mettez pas au même niveau que l’autre personne. Si c’est une habitude dans la relation, cela conduit au mépris, bien qu’on n’en soit pas forcément conscient. Il n’y a de véritable lien avec l’autre que quand on sait à la fois donner et recevoir librement. Si on ne sait pas recevoir alors on reste séparés. Recevoir est plus facile à dire qu’à faire. Il est souvent plus facile de faire une faveur que d’en demander une. Un aspect intéressant du savoir-recevoir est que vous aurez toujours un problème avec cela tant que vous serez incapable de donner sans en attendre rien en retour.

Evidemment c’est impossible d’aimer quelqu’un que l’on n’accepte pas. Le jugement que vous portez ne peut que causer la séparation. La question serait donc plutôt : A quel point avez-vous besoin d’accepter quelqu’un pour pouvoir l’aimer ?

L’intimité

L’intimité est l’élément le plus complexe et le plus fascinant de l’amour. L’intimité c’est être lié à l’autre par un contact émotionnel profond, un sentiment de proximité avec l’autre. C’est l’exact opposé de la séparation ou de l’aliénation. Les manifestations les plus caractéristiques de l’intimité sont la tendresse et l’affection. Un trait important de l’intimité est que c’est irremplaçable. On peut remplacer un beau visage ou un beau corps – ou même une belle personnalité – par un autre. Il n’en est pas de même avec cette qualité appelée l’intimité.

L’intimité est plus une forme de relation à l’autre qu’un sentiment. Etre intime avec une personne signifie que nous sommes vraiment nous-mêmes avec elle, sans aucune barrière ni façade. C’est possible seulement quand on est à l’aise avec l’autre, idéalement au point de se sentir comme quand on est seul avec soi-même. Ca prend du temps, ou plus exactement, cela requiert un processus long et mutuel de révélation de soi-même. Enfin, l’intimité signifie être totalement connu de l’autre, c’est-à-dire ne rien tenir caché consciemment. Montague Ullman explique l’importance de cela, « La liberté de dévoiler qui l’on est est également la liberté d’être soi-même. »

Il y a quatre facteurs importants liés à l’intimité : l’empathie, l’ouverture, la vulnérabilité et la confiance.

L’empathie et l’ouverture

Si les sentiments de la personne que vous aimez n’ont pas beaucoup de valeur pour vous alors c’est une forme d’amour de bas niveau, si c’est de l’amour. Ca ne peut aussi qu’empêcher l’intimité. Ainsi l’empathie – être attentif aux sentiments de l’autre et les respecter – est également indispensable. Si vous n’êtes pas ouvert alors vous ne vous impliquez pas dans la relation, ce qui exclue l’intimité. Le manque d’ouverture mais couplé avec l’empathie signifie une relation inégale, comme dans les situations de conseil. Quand nous sommes sensibles et répondons aux sentiments des autres mais sommes incapables de dévoiler nos propres sentiments intimes, alors nous maintenons une défense. A moins qu’il y ait à la fois l’ouverture et l’empathie, la séparation demeure. Ceci est similaire au besoin de donner et de recevoir.

La vulnérabilité

L’intimité demande plus que d’être connu, cela signifie être totalement accessible. Car une totale intimité signifie être touché au plus profond de soi par l’autre, sans aucune barrière. Cette volonté ou capacité à s’autoriser à être touché est inhérente à la vulnérabilité.

La vulnérabilité est paradoxale. Bien qu’elle semble être une faiblesse, c’est en fait une force. En réalité nous sommes tous vulnérables parce que nous sommes sensibles. Pourtant nous dissimulons souvent notre vulnérabilité sous une apparente dureté, l’humour, en étant cynique ou en intellectualisant. S’autoriser à être vulnérable signifie ouvrir son cœur à l’autre. Cela peut conduire à être blessé par l’autre mais l’alternative est de construire une barrière défensive, ce qui est finalement encore plus douloureux. La vulnérabilité dépend de la confiance en l’autre.

La peur de la vulnérabilité

Holmes et Rempel pensent que les peurs suivantes contribuent à la peur d’être vulnérable : la peur d’être rejeté et blessé ; la peur de perdre son individualité ou d’être englouti ; la peur de voir ses faiblesses exposées ; la peur des ses propres impulsions destructrices si on déchaîne ses sentiments ; la peur que l’information divulguée soit utilisée ultérieurement comme munitions ; la peur de perdre le contrôle.

La confiance

Je crois que la confiance est la clef de voûte de l’intimité dans une relation d’amour entre deux adultes. La confiance est plus qu’un haut degré d’ouverture et d’honnêteté des deux côtés. Ca comprend la certitude de pouvoir compter sur l’autre, que l’autre ne se comportera pas de façon irresponsable ou égoïste dans les moments importants. Avoir confiance en l’autre implique de sa part une loyauté et une affection inconditionnelles. Dit simplement, la confiance est l’assurance de savoir où on en est avec l’autre, que l’autre personne est « de notre côté ». Enfin, avoir confiance en quelqu’un signifie ne pas en avoir peur. Sans un degré quelconque de confiance, l’intimité est impossible.

L’amour et l’amitié

Peut-on différencier l’amour de l’amitié par les qualités d’attention, de respect, de connaissance, de don, de capacité à recevoir, d’acceptation et d’intimité ? Je crois qu’elles s’appliquent toutes dans une vraie relation amicale. La différence entre l’amitié et l’amour érotique est que ce dernier inclue cette substance magique qu’est la passion – « un état de désir intense de s’unir à l’autre ». Il s’agit bien sûr d’un sentiment qui ne peut appartenir à la liste des orientations. Et puis, il y a le meilleur ami de l’homme, le sexe. La passion donne naissance à un attachement fort et au besoin, mais je les vois comme des effets conjoints, qui n’appartiennent pas à l’amour en tant que tels. Cela va sans dire que si un couple s’aime mutuellement (c’est-à-dire avec les sept qualités citées), alors ce sont également des amis proches. Ainsi je ne pense pas que l’amour en tant qu’orientation puisse se différencier de l’amitié. Après tout, n’aimons-nous pas nos plus proches amis ? Seule manque la dimension érotique, ainsi que, peut-être, une différence de degré.

L’engagement

Robert Sternberg a avancé un modèle d’amour composé d’intimité, de passion et d’engagement. Il définit ce dernier comme, à court terme la décision d’aimer l’autre, à long terme un engagement de maintenir cet amour. Son idée est intéressante car elle nous permet de distinguer différentes sortes de relations, telles que : l’amitié (seulement l’intimité), l’engouement (seulement la passion), le mariage de raison ou d’intérêt (seulement l’engagement), le compagnonnage (l’intimité et l’engagement sans la passion), l’amour romantique (la passion et l’intimité sans engagement), le « mariage façon Hollywood » – quand un couple se marie deux semaines après s’être rencontré (l’engagement et la passion sans l’intimité), et l’amour véritable (les trois ensemble).

Cependant je pense que la division de Sternberg est trop simpliste, puisqu’elle omet quelques-uns des ingrédients essentiels de l’amour –  tels que l’attention et le don. Quant à l’engagement, je crois que c’est un effet, et non pas un composant de l’amour. Deux personnes voudront en effet naturellement rester ensemble si elles s’aiment. Vivant une telle relation depuis 34 ans, je peux dire qu’une décision consciente de rester ensemble n’a jamais fait partie du tableau pour aucun de nous. Plutôt, le désir de rester ensemble a été le résultat de notre amour l’un pour l’autre. D’autre part, une personne qui regimbe à s’engager parce qu’elle préfère sa liberté à sa relation, ne peut pas goûter les fruits de l’amour, ou du moins c’est ce qu’il me semble.

La pratique contre la théorie

Il existe d’innombrables proverbes qui louent le miracle de l’amour. A part quelques cyniques (comme La Rochefoucauld), quasiment tout le monde admet que l’amour est une des meilleures, sinon la meilleure chose dans la vie. Si c’est vrai alors pourquoi ne vivons-nous pas tous abondamment l’expérience d’aimer et d’être aimé ? C’est un des grands paradoxes de la vie, et un qui reçoit peu d’attention. Quelques-uns des aphorismes cités suggèrent que, comme toute chose dans la vie, l’amour a un prix. Quel pourrait bien être le prix de l’amour – quand l’amour est gratuit pour tous ?

Le prix de l’amour

Le prix de l’amour est que ça nécessite de limiter notre ego. J’utilise le mot ego au sens familier du terme, comme dans « Il se vante parce qu’il a des problèmes d’ego. » Par ego, je veux dire l’image que chacun de nous a de soi-même et dans sa relation au monde. Nous nous donnons parfois beaucoup de mal pour protéger cette image. L’ego inclue un attachement à notre propre importance, à ce que les autres pensent du bien de nous, à nos propres opinions, à ce que nous aimons et à ce que nous n’aimons pas, et à nous voir nous-mêmes sous une lumière flatteuse. Deux mots sont de bons synonymes d’ego : prestige et orgueil.

L’ego est un faux sens de l’identité, un semblant que nous nous efforçons de préserver. C’est l’ego qui nous empêche de reconnaître nos torts. Ainsi nous pouvons préférer perdre un ami qu’une dispute. Un exemple clair de l’ego au travail est quand nous essayons de sauver la face. L’ego est un sens de la fierté faussé qui masque une profonde insécurité. Dès que nous sommes sur la défensive c’est notre ego qui agit. Car l’ego est comme un ballon gonflé que nous veillons constamment à ne pas crever. L’ego est un narcissisme fragile qui nous coûte beaucoup. Ca peut se résumer à être accroché à avoir les choses comme on les veut. Si mon ego est très développé alors je verrai chacun, et chaque chose, existant seulement pour mon profit.

Le conflit entre l’amour et l’ego devient clair quand nous passons en revue les sept composants de l’amour. L’affection demande un transfert de notre intérêt de soi-même vers autrui. Le respect n’est possible que si nous ne sommes pas englués en nous-mêmes. Connaître l’autre nous oblige à déplacer notre centre d’intérêt vers les autres. Le don va à l’encontre de l’égotisme. Recevoir va à l’encontre de l’orgueil. Accepter l’autre nous oblige à abaisser nos jugements basés sur notre ego. L’empathie nécessaire à l’intimité n’est possible que si nous sommes véritablement centrés sur l’autre personne, nous mettant de côté pour le moment. De la même façon, l’ouverture signifie abaisser nos propres défenses. Faire confiance et se montrer vulnérable n’est possible que si nous ne craignons pas d’être envahi ou rejeté par l’autre.

Une bonne relation ne devrait pas constituer un accomplissement. Il suffit que je sois gentil avec toi si tu es gentil avec moi. C’est une forme simple d’amour conditionnel où tout le monde est gagnant. Pourtant même cela est difficile pour les êtres humains. Une raison en est la présence de deux egos. Un autre problème est du aux idées incompatibles de comment chaque partenaire pense que l’autre devrait se comporter. Aussi, tandis que nous voyons et expérimentons directement tout ce que nous faisons pour l’autre, et sommes très conscients de nos propres besoins, nous sommes beaucoup moins conscients de ce que l’autre fait pour nous et de ses besoins. Nous ressentons nos blessures directement et douloureusement ; nous devons imaginer ce que l’autre ressent réellement. Peu d’entre nous font de vrais efforts dans ce domaine.

Faire l’amour

Cela nous ramène à l’importante observation de Covey : que je peux créer le sentiment d’amour en moi-même par le biais d’actes d’amour. Je peux le faire en étant attentif et en respectant l’autre, en m’intéressant vraiment à l’autre, en étant généreux et en l’aidant, en lui permettant de me donner (en lui demandant une faveur) et en lui montrant que je l’accepte. Agir d’une façon qui favorise l’intimité est encore plus direct. En faisant ça je peux écouter et montrer que je comprends les sentiments de l’autre personne, divulguer ce que je ressens profondément, m’autoriser à montrer mes propres faiblesses, et agir d’une façon qui lui montre que je lui fais confiance.

Le psychologue John Gottman a dit « Le sexe, le romantisme et la passion sont recevoir l’information et l’énergie, par opposition à les émettre. Ainsi il ne s’agit pas d’être sexy ou séduisant, il s’agit de s’intéresser à votre partenaire, d’être réceptif et connaître l’autre, et de recevoir de l’autre personne quelque chose de profond et de fondamental. C’est une décision de chaque instant d’être intéressé par l’autre personne, de lui rendre hommage. » Les personnes douées pour les relations ont cette habitude de rechercher des choses à apprécier.

L’amour est fragile et vulnérable, contrairement à la colère ou à la haine. Le tester peut le briser. Nous nous indignons si l’autre présume trop de notre amour. C’est une comparaison vulgaire, mais la relation d’amour est un peu comme un compte bancaire : si l’autre effectue plus de retraits que de dépôts, alors notre amour pour l’autre en souffre. C’est important de rappeler qu’il y a deux personnes impliquées, et que le donneur et le receveur ne donneront pas la même valeur à un acte généreux. Si nous donnons sans considération de la personnalité du receveur, alors le résultat peut être contre-productif, par exemple nous pouvons heurter sa fierté. D’un autre côté, la connaissance agit comme un levier, en ce sens que quelque chose qui me coûte peu à faire peut être ressenti comme un grand geste par l’autre personne. Il est beaucoup plus facile de satisfaire son partenaire quand on est sensible à ses besoins.

L’amour inconditionnel

Une autre division fondamentale se trouve dans l’amour conditionnel et inconditionnel. L’amour conditionnel est basé sur l’ego. En gros, c’est : je t’aime parce que tu me donnes ce que je veux. Ou encore : tu es à la hauteur de mes idéaux et je juge que tu mérites mon amour.

L’amour inconditionnel signifie aimer l’autre personne indépendamment de ce qu’elle fait, ou même de la façon dont elle nous traite. Cela signifie aimer le pécheur, pas le péché. L’exemple courant d’amour inconditionnel est l’amour maternel. Par contraste, l’amour paternel est conditionnel, demandant à l’enfant d’être à la hauteur des idées de son parent. Cela signifie qu’on n’est pas aimé pour soi-même mais parce ce qu’on plaît. L’amour maternel et l’amour paternel ne doivent pas être pris au sens littéral, puisqu’ils font référence à des archétypes. Ainsi un père actuel peut aimer d’une façon quasiment maternelle, tandis que son épouse aimera leur enfant d’une façon plutôt paternelle.

Certains affirment que seul l’amour inconditionnel est l’amour véritable. Bien que je reconnais que l’amour inconditionnel est une forme d’amour plus pure, je pense que c’est une vision trop rigoureuse. Que celui qui aime d’un amour complètement inconditionnel jette la première pierre !

Krishnamurti a écrit:

Le problème est : qu’est-ce que l’amour sans mobile ? Existe-t-il un amour sans motivation, sans vouloir retirer quelque chose pour soi-même de cet amour ? Existe-t-il un amour où on ne se sente pas blessé quand cet amour n’est pas réciproque ? Si je vous offre mon amitié et que vous me tournez le dos, est-ce que je n’en souffre pas ? Est-ce que ce sentiment d’être blessé, est le résultat de l’amitié, de la générosité, de la sympathie ? Sans doute, tant que je me sens blessé, tant qu’il y a de la peur, tant que je vous aide en espérant que vous puissiez m’aider…ce n’est pas de l’amour. Si vous comprenez cela, la réponse est là. 

Krishnamurti résume son intransigeance par : « Le soi n’existe pas quand on aime. » Je pense qu’il est certain que moins on a d’ego, plus on peut aimer facilement. Les personnes trisomiques l’illustrent d’un façon poignante.

Dans “L’insoutenable légèreté de l’âme » de Milan Kundera, une femme dit à son mari qu’elle aime plus son chien qu’elle ne l’aime lui, ou plutôt, qu’elle aime le chien d’une « meilleure façon ». Je pense qu’elle veut dire qu’il est plus facile d’aimer un chien sans conditions, sans attendre de lui autre chose que d’être un chien.

Aimer contre être aimé

Aimer est plus important que d’être aimé (je parle de l’attitude d’amour). Pourquoi ? parce que votre amour est en vous-même, ce n’est pas un facteur extérieur dont vous dépendez. C’est votre expérience intérieure que personne ne peut vous enlever. Aimer est sous votre contrôle et vous en êtes complètement responsable. Ca vaut aussi la peine de noter que les gens semblent prendre plus de plaisir à donner qu’à recevoir.

L’attitude d’amour est l’orientation la plus positive et la plus productive envers les gens et la vie en général. Comme un effet secondaire, il se trouve que cela vous assure d’être aimable. Tandis qu’être aimé ne vous garantit pas que vous êtes aimable. On peut vous aimer pour des raisons qui ne sont pas liées à votre valeur en tant que personne, comme la richesse, la beauté ou le statut.

Krishnamurti l’exprime mieux que je sais le faire :

Vous voulez être aimé parce que vous n’aimez pas ; mais dès que vous aimez, c’est terminé, vous ne vous souciez plus si quelqu’un vous aime ou pas. Tant que vous demandez à être aimé, il n’y a aucun amour en vous ; et si vous ne ressentez aucun amour, vous êtes laid, bestial, alors pourquoi vous aimerait-on ? Sans amour vous êtes un être mort ; et quand un être mort demande à être aimé, il est toujours mort. Au contraire, si votre cœur est empli d’amour, alors vous ne demandez jamais à être aimé, vous ne tendez jamais votre bol à quelqu’un pour le remplir. Seul le vide demande à être rempli, et un cœur vide ne sera jamais rempli en courant après les gourous ou en cherchant l’amour de mille autres façons.

Les styles d’amour

John Lee a fait une intéressante classification des formes d’amour existant entre la femme et l’homme : érotique, amical et ludique. L’amour érotique se caractérise par une attirance physique instantanée et puissante. L’amoureux érotique recherche son idéal de beauté. C’est une forme passionnée d’amour. A l’opposé, l’amour amical est basé sur l’amitié et le compagnonnage, plutôt que sur un sentiment intense. Ces amants restent souvent bons amis après une rupture. L’amant ludique, quand il n’est pas aux côtés de celle qu’il aime, aime celle qui est à côté de lui. Ils contrôlent leurs émotions et ne pensent pas que l’amour est aussi important que le travail ou les autres activités. Il me semble que la forme ludique se réfère à une façon de se comporter avec le sexe opposé, plutôt qu’à l’amour dans un sens véritable.

Robin Norwood fait une distinction similaire en opposant eros avec agapé. Eros « concerne un amour passionné, tandis qu’agapé décrit une relation stable et engagée dénuée de toute passion, qui existe entre deux individus profondément attentifs l’un à l’autre. » Norwood remarque que nous sommes conditionnés pour accepter l’illusion qu’une relation passionnée (eros) nous apportera la satisfaction et le contentement (agapé). « La peur est le prix à payer pour la passion, et la douleur et la peur mêmes qui nourrissent l’amour passionné peuvent le détruire. Le prix à payer pour l’engagement stable est l’ennui, et la sécurité et la sûreté mêmes qui cimentent une telle relation peuvent aussi la rendre rigide et sans vie. » Sa solution pour résoudre ce dilemne éternel est de développer l’intimité véritable. Cela signifie une exploration encore plus profonde des « mystères pleins de joie entre un homme et une femme ».

Norwood est célèbre pour son livre « Les femmes qui aiment trop ». Je pense que le titre est mal choisi : les femmes n’aiment pas trop, mais certaines aiment mal – d’une façon dépendante, unilatérale, sans connaissance ou intimité, sans recevoir et donc sans attention pour elles-mêmes.

Aimer contre être amoureux

Aucune confusion concernant les sentiments humains n’est plus universelle ou n’a plus brisé les cœurs que la différence entre la projection et l’amour véritable. Entre « être amoureux » (c’est-à-dire l’amour romantique) et « aimer ». Quand nous projetons, nous n’établissons pas de relation aux autres mais aux aspects qu’ils évoquent de notre propre psyché.

L’amour romantique, surtout le coup de foudre, est un exemple classique de projection. Un homme qui tombe amoureux de cette façon n’est pas liée à l’autre personne puisqu’il ne la connaît pas du tout. A la place, il répond à sa propre image de la femme idéale (c’est-à-dire son anima). En fait, moins il connaît la femme, plus il lui est facile de projeter son idéal intérieur sur elle. Mettre une femme sur un piédestal n’est aucunement élever son statut, mais plus une façon d’éviter de traiter avec elle comme une personne. Une femme parle ainsi de son propre manque d’amour, en disant : « Si je l’avais aimé je n’aurais pas vu ses défauts. » Ainsi le dicton « L’amour est aveugle. » Plus précisément, l’amour sans la connaissance – c’est la projection – est aveugle.

Richard Roberts a écrit :

Naturellement quand on tombe amoureux, il se produit une projection ; autrement l’individu qui nous enchante ne se détacherait pas du reste des gens. Quand on voit ça se produire chez un de nos amis, nous disons « Je me demande ce qu’il lui trouve. » Quand ça nous arrive à nous, nous sommes certains que l’objet de notre amour a des qualités spéciales que les autres n’ont pas.

Il va sans dire qu’il est insupportable pour une personne aimée de supporter l’image de dieu ou de déesse que la personne qui l’aime projette sur elle. Quand l’amoureux réalise que l’autre personne est imparfaite, juste comme elle est, la désillusion s’ensuit et la période « d’être amoureux » se termine. Avec de la chance, l’expérience d’amour romantique peut se transformer en expérience d’amour – qui est d’apprécier l’autre personne pour ce qu’elle est, pas pour ce que nous aimerions qu’elle soit. D’une autre façon, cela peut amener le « projectionniste » déçu à rechercher une autre personne de qui tomber amoureux.

L’étape d’être amoureux a un goût de paradis, mais cela ne dure pas. Le reste de la relation ne peut pas tenir cette « hauteur ». Naturellement, nous voulons retrouver ce sentiment merveilleux. Mais comment ? J’aimerais avoir la réponse ! Etre dans une relation d’amour continue donne de belles récompenses, mais qui ne sont pas aussi spectaculaires que celles dues à la phase « être amoureux ».

Hollywood et les romans romantiques ont encouragé le faux mythe de « l’amour vrai » – celui où trouver le partenaire idéal résoud magiquement tous les problèmes relationnels. Ce faux jugement est gardé vivant par le processus normal de développement et de désintégration d’une relation (pour les relations qui ne durent pas). Une personne passant à travers ce processus compare le pire du dernier partenaire avec le meilleur du nouveau partenaire. Il serait difficile de ne pas le faire, puisque les souvenirs de l’ex-partenaire en amoureux ont été gravement endommagés, souvent enterrés par des années d’amertume et d’acrimonie. De cette façon, les gens risquent de répéter une expérience qui se terminera mal, parfois même avec un partenaire très similaire au précédent. A la question de savoir s’il se remarierait, un homme divorcé a répondu : « Oh que non, je trouverais plutôt une personne que je hais et je lui offrirai une maison. »

Comme le dit Samuel Rogers, « Ce n’est pas important de savoir qui on épouse, parce qu’on est sûr de réaliser le lendemain matin que c’était quelqu’un d’autre. » Le psychologue John Gottman a étudié les relations durables depuis plus de 30 ans. A la question : “Les choses qui nous font tomber amoureux de quelqu’un sont-elles annonciatrices d’une relation durable réussie ?” Gottman a répondu : “D’après ce que je sais elles ne prédisent rien. L’amour romantique est une mauvaise base pour le mariage. »

Erich Fromm va encore plus loin :

L’amour n’est pas d’abord une relation à une personne précise ; c’est une attitude, une prédisposition du caractère qui détermine la relation d’une personne au monde dans son entier, pas seulement envers un « objet » d’amour. Si une personne aime une seule autre personne en étant indifférente aux autre êtres humains, son amour n’est pas de l’amour mais un attachement symbiotique, ou un égoïsme élargi à une autre personne qu’elle-même. Pourtant, la plupart des gens croient que l’amour est constitué par son objet, et non pas par la faculté même d’aimer. En fait, les gens croient même que c’est une preuve de l’intensité de leur amour quand ils n’aiment personne sauf la personne « aimée ». Parce qu’on ne voit pas qu’aimer est une activité, un pouvoir de l’âme, on croit que tout ce qui est nécessaire est de trouver le bon « objet » – et que tout ira de soi après ça. Cette attitude peut être comparée à celle de l’homme qui veut peindre mais qui, au lieu d’apprendre la technique artistique, affirme qu’il a juste à attendre le bon objet, et qu’il peindra merveilleusement quand il l’aura trouvé. Si j’aime véritablement une personne j’aime toutes les personnes, j’aime le monde, j’aime la vie. Si je peux dire à quelqu’un « Je t ‘aime », je dois pouvoir dire « En t’aimant, j’aime toutes les autres personnes, j’aime le monde, je m’aime aussi moi-même. »

Etre amoureux manque de quelques éléments-clefs de l’amour. D’abord, l’acceptation – car nous aimons l’autre personne parce qu’elle semble correspondre à notre idéal intérieur, pas pour ce qu’elle est. L’intimité – puisqu’une relation de profonde confiance n’a pas encore été construite. Par dessus tout, la connaissance – nous ne connaissons simplement pas encore l’autre personne. A cause de cela, le respect ne signifie rien si nous respectons une idéalisation, pas la personne. Cela nous donne un indice pourquoi les gens sont si amers par la rupture d’une histoire d’amour : ils se sentent profondément trompés. Trompés parce que la personne idéale qu’ils voyaient dans leur partenaire s’est révélée tout simplement humaine.

Gloria Steinem a observé, «La romance est un moyen qui mène à la fin de la réalisation de soi, mais l’amour est une fin en soi.» Cela mène au critère le plus net pour distinguer « aimer » d’ « être amoureux », écrit par Margaret Anderson : « Dans l’amour véritable on veut le bien de l’autre personne. Dans l’amour romantique on veut l’autre personne. »

Ce critère peut s’appliquer à d’autres formes d’amour. Ainsi une mère qui voit son enfant comme une partie d’elle-même ou comme lui appartenant n’est pas une mère aimante. Fromm explique :

La mère ne doit pas seulement tolérer, elle doit souhaiter et soutenir la séparation d’avec son enfant. C’est seulement à ce stade que l’amour maternel devient une tâche tellement difficile, nécessitant de l’abnégation, la capacité à tout donner et à ne rien vouloir à part le bonheur de la personne aimée. La femme narcissique, dominatrice, possessive, peut réussir à être une mère « aimante » tant que son enfant est petit. Seule la femme qui aime vraiment, la femme qui est plus heureuse en donnant qu’en recevant, qui est fermement enracinée dans sa propre existence, peut être une mère aimante quand son enfant est dans la phase de séparation.

Comme dans l’amour érotique, le parent a besoin de faire une transition d’une forme d’amour à une autre – d’aimer son enfant parce qu’il lui appartient à aimer l’adulte en devenir pour la personne unique qu’elle est, pas seulement comme une fille ou un fils. »

Pourquoi la projection est si merveilleuse?

A propos de la projection, on se demande « Pourquoi tomber amoureux est-il une expérience « sommet«  si merveilleuse, alors qu’il s’agit tout simplement de l’illusion appelée projection ? ». C’est parce que la personne amoureuse accède à la plus profonde et plus pure part de sa nature. Le problème est qu’elle le situe à l’extérieur d’elle-même, alors qu’en fait cela se trouve à l’intérieur d’elle-même. L’erreur ne vient pas que l’aspect divin n’existe pas, mais d’où on le perçoit. Evidemment l’autre personne a aussi cette merveilleuse partie en elle ; le truc est que la personne amoureuse ne répond pas à cette part dans l’être aimé, mais en elle-même, seulement elle ne le sait pas.

Travailler une relation nécessite de retirer ce que nous avons projeté sur l’autre personne, de façon à commencer à la voir telle qu’elle est. Les conflits douloureux dans une relation intime servent à nous enseigner de quelle matière émotionnelle nous sommes faits. Krishnamurti a merveilleusement saisi cela :

La relation est le miroir dans lequel on se découvre soi-même. 

Puisque cela implique de retirer les projections, c’est-à-dire en savoir plus sur soi-même que nous ne le voudrions, beaucoup d’entre nous préfèrent quitter la relation. (Pour être juste envers Krishnamurti, je dois ajouter qu’il entend « relation » dans son sens le plus large, pas seulement les relations romantiques ou interpersonnelles.)

La Rochefoucauld parlait de la projection quand il écrivait : « Si l’on juge l’amour d’après la plupart de ses résultats, il ressemble davantage à la haine qu’à l’amitié. », tout comme Plautus, « Celui qui tombe amoureux rencontre un pire destin que celui qui tombe d’une falaise. » Au contraire, Andrew Law décrit l’amour plutôt que la projection quand il écrit : « L’amour est infaillible ; il ne fait pas d’erreurs, car toutes les erreurs sont un manque d’amour. » Le lecteur intéressé pourra voir lesquelles parmi les 15 citations initiales se réfèrent à la projection et lesquelles à l’amour véritable.

Etre amoureux

Après avoir effectué une étude, Elaine Walster a conclu que l’amour-passion ne dure pas plus de trois à douze mois dans une relation. Par amour-passion elle entend celui qui est accompagné de papillons dans l’estomac, d’une perte d’appétit, d’insomnie et d’une accélération des battements de cœur.

La psychologue Charlotte Kasl compare les symptômes de l’amour romantique à ceux du désordre maniaco-dépressif, « humeur changeante… distorsions de la réalité ». C’est difficile de ne pas qualifier l’état d’être amoureux de toxicomanie ou d’obsession. La différence est qu’être amoureux  est toujours soignable, par exemple par le mariage. Il semble indéniable que l’état d’être amoureux est toujours temporaire.

Pendant le stade « amoureux » nous n’exigeons rien de l’autre personne, et lui permettons d’être autonome. Nous acceptons et apprécions nos différences. Ensuite, au fur et à mesure que nos vies s’entremêlent, nous devenons exigeants, voulant que l’autre nous convienne. Les différences mêmes qui nous avaient attirés deviennent problématiques avec le stress de la vie normale. Ici, l’ego, le méchant de la pièce de la relation, entre en scène.

Qu’est-ce que faire l’expérience de “tomber amoureux” ? Fromm le décrit comme « l’effondrement explosif des barrières entre deux étrangers ». Ainsi l’extase qui accompagne l’expérience résulte d’une pseudo-union temporaire. « Pseudo » parce que c’est l’emboîtement de deux projections, pas la fusion des deux personnes. Par contraste, cesser d’être amoureux est le processus de retour des frontières de l’ego : on réalise que nos souhaits, nos besoins et notre rythme diffèrent de ceux de la personne aimée. Après un contact suffisant avec la réalité la projection s’est dissoute. A ce point nous avons l’opportunité de commencer à aimer dans un véritable sens. 

Qui est Madame/Monsieur Idéal ?

Il est bien connu que beaucoup de femmes ont des demandes contradictoires concernant un partenaire. Tandis qu’elles veulent une canaille pour le grand frisson, elles veulent aussi un « bon gars » fiable avec lequel elles se sentent en sécurité et dont elles peuvent dépendre. Une ambivalence similaire existe chez les hommes, qui ont inventé la dichotomie fictive de « la madone et la putain ».

Le professeur Mortley a pointé que le taux élevé de divorces dans les pays occidentaux est moins un symptôme de désillusion généralisée, que l’expression de notre idéalisme incroyable sur l’amour et le mariage. Persuadés que s’ils peuvent trouver la bonne personne ils vivront heureux pour toujours, beaucoup de gens se marient plusieurs fois.

Dr Candida Peterson suggère que contrairement à la croyance romantique que certaines personnes sont « faites l’une pour l’autre », le choix du partenaire peut être le facteur le moins important dans la décision de faire durer ou non une relation.

Le thérapeuthe familial Hugh Crago a analysé pourquoi les gens choisissent les partenaires qu’ils choisissent. A un niveau nous choisissons inconsciemment une personne dotée des qualités qui nous manquent. C’est ce qu’on appelle « l’attirance des contraires ». A un niveau plus profond, nous recherchons une personne qui nous ressemble : « Presque tous, avec une mystérieuse précision, nous semblons reconnaître et nous accrocher à des personnes qui sont notre égal ».

Une autre observation souvent faite à propos du choix d’un partenaire est que nous choisissons inconsciemment une personne avec le même caractère que notre père ou notre mère.

La jalousie

La jalousie dénote d’un manque d’amour (orientation). Si vous arrêtez une relation parce que l’autre personne a une liaison avec quelqu’un d’autre, vous admettez effectivement que vous n’aimiez pas la personne au départ. Vous placez les demandes de votre ego – fierté, possessivité, et sécurité – plus hautes que votre amour supposé. Vous ne pouvez vous sentir jaloux que si vous sentez que vous « avez » l’autre personne, que dans un sens, vous la possédez, ne serait-ce que sexuellement.

L’amour est inépuisable: il n’y a aucune raison qu’une femme ne puisse aimer son mari et son enfant, ou même cinq enfants. Ce qui est divisé c’est l’expression de l’amour, qui demande du temps et un don actif de soi-même. Je pense aussi qu’il est possible pour un homme d’aimer deux femmes, ou pour une femme d’aimer deux hommes. Bien que cela conduise à des problèmes.

Le pseudo-amour

Fromm a résumé l’amour immature comme : “Je t’aime parce que j’ai besoin de toi” et l’amour mature comme “J’ai besoin de toi parce que je t’aime.”

Il existe de nombreuses formes de pseudo-amour : l’engouement sexuel; la fierté de posséder; la fierté de création – y compris de créer des enfants ; la sympathie ; la peur de la solitude ; l’égoïsme à deux (élargissant l’unité égocentrique à deux personnes) ; le concept d’équipe du mariage ; aimer l’autre personne en s’identifiant à elle ; l’adoration à distance.

La dépendance est aussi souvent prise pour une forme d’amour. Scott Peck souligne que « Quand on a besoin d’un autre individu pour survivre, on est un parasite de cet individu. » Il définit la dépendance comme l’incapacité de se sentir complet et de fonctionner de façon adéquate sans la conviction qu’une autre personne s’occupe de vous. Aimer une autre personne de la façon dont on aime un animal de compagnie est une autre forme de pseudo-amour décrite par Peck. Il cite de nombreux cas de soldats américains ayant épousé des « fiancées de guerre » asiatiques. Ils ont vécu des mariages idylliques jusqu’à ce que leurs femmes apprennent l’anglais, et que les mariages commencent à se déliter : « Les soldats ne pouvaient plus projeter sur leurs femmes leurs propres pensées, sentiments, désirs, buts et ressentaient la même proximité qu’avec un animal de compagnie. » Cela s’applique aussi aux mères qui n’aiment leurs enfants que tant qu’ils sont petits.

La dévotion aveugle, envers un gourou, un maître, un dirigeant politique ou un mari dominateur, n’est pas non plus une véritable forme d’amour. La dévotion manque, au moins en partie, de connaissance, de savoir-recevoir et d’intimité. La dévotion est inégalitaire, reposant sur la subjugation qu’exerce l’être aimé sur celui qui aime. C’est fondamentalement unilatéral, impliquant de la projection et du culte. On sait aussi que l’admiration a un effet distanciateur. De plus, vous pouvez être dévoué à quelque chose que vous ne connaissez même pas. En fait, étant basée sur la projection, la dévotion repose sur l’ignorance. Ceux qui sont totalement dévoués à une personne vivante ou à une figure religieuse résistent de toutes leurs forces à trouver la vérité sur les faiblesses de leur objet d’adoration. La fureur autour de « La dernière tentation du Christ » illustre bien ce facteur. A mon avis il est possible d’être dévoué à dieu, mais pas de l’aimer, puisque dieu est l’inconnu ultime.

Peter Hoeg nous donne un indice sur la raison de l’amour passionnel qui se transforme en haine : « Au fond de chaque amour aveugle et absolu grandit la haine envers l’être aimé, qui détient maintenant la seule clef existante du bonheur de la personne qui l’aime. »

L’amour romantique est-il une dépendance ?

Relevée dans le “Sydney Morning Herald” du 13/10/2012, une citation de Ani Drolma, une nonne bouddhiste :

« Vous savez, l’amour romantique est une coutume très répandue, mais ce n’est pas quelque chose que j’aime pratiquer. Quand on y réfléchit avec attention, ce n’est alors qu’une addiction de plus – où l’on est dépendant d’une personne en particulier. « J’aime tellement cette personne que je ne peux pas la laisser partir ! ». Ce n’est pas exact. Si vous aimez quelqu’un d’un amour véritable, vous voulez simplement le meilleur pour cette personne, pas pour vous-même. Si vous souhaitez le meilleur pour lui/elle à la condition qu’il/elle vous rende heureux/se, il s’agit alors d’une affaire commerciale. Ce n’est pas le genre d’amour que l’on doit développer les uns pour les autres. Quelqu’un finira par souffrir, toujours. »

Je suis d’accord que l’amour romantique est une addiction, c’est-à-dire un besoin compulsif entraînant la dépendance. Pourquoi les addictions sont-elles mauvaises ? Je pense qu’il y a quatre raisons :

  • le comportement est intrinsèquement nocif, par exemple le tabagisme
  • cela a des conséquences destructrices, par exemple l’addiction au sexe
  • cela rétrécit votre vie et vous fait rater des choses précieuses, par exemple l’addiction à                                                                              la TV ou les jeux vidéo.
  •  on souffre énormément quand on est privé de la source de cette dépendance.

Dans le cas de l’amour romantique, le premier point ne s’applique pas. L’amour peut avoir des conséquences indésirables, particulièrement quand cela conduit à une jalousie maladive, à la possessivité ou à l’obsession. Cependant, ces effets ne sont pas systématiques. Quant à rater quelque chose de mieux, « mieux » existe-t-il ? Le vrai problème, c’est la perte – le divorce ou le deuil sont un désastre.

J’en conclue que l’amour romantique est une dépendance qui en vaut vraiment la peine.

Le sacrifice

Une autre mauvaise conception de l’amour vient probablement de l’époque de la chevalerie (à part dans les histoires d’amour hystériques, une telle époque a-t-elle jamais existé ?). Le seul vrai critère de l’amour pour une autre personne serait notre capacité à nous sacrifier pour elle. Un père qui travaille jour et nuit pour que ses enfants héritent de beaucoup d’argent fait peut-être un sacrifice, mais il les aimerait bien davantage s’il passait plus de temps avec eux.

Le sacrifice est peut-être une marque de dévouement, mais pas d’amour mature. L’amour mature tient compte des besoins des deux parties et les équilibre. Pourtant, bien sûr, si nous aimons quelqu’un nous lui exprimons notre affection en faisant des sacrifices pour l’autre personne quand il le faut. Autrement nous ne serions pas dans le don véritable. Le critère dépassé du sacrifice est basé sur le fait que nous plaçons l’autre personne avant nous-mêmes, sur le déni de soi, et finalement sur l’auto-abnégation. Peck a écrit : « C’est vrai que l’amour implique un changement à l’intérieur de soi, mais c’est une extension de soi-même plutôt qu’un sacrifice de soi-même… cela nous remplit plutôt que cela nous réduit. » (Notez que cela contredit directement Krishnamurti. Les deux hommes explorent l’amour à des niveaux différents.)

Croire que se sacrifier soit le bien le plus haut équivaut à se rabaisser soi-même. Au mieux, l’élévation du sacrifice en tant que valeur est une compensation pour l’égoïsme naturel que nous dissimulons tous. Alors que le remède contre l’égoïsme est l’amour de soi, pas le déni de soi.

L’amour de soi

Il est maintenant largement reconnu que nous ne pouvons aimer les autres que si nous nous aimons nous-mêmes. L’amour de soi ne doit pas être confondu avec le narcissisme, la suffisance ou l’égotisme. Ces attitudes sont en fait des défenses qui naissent d’un manque d’amour de soi. L’amour de soi inclue de s’accepter soi-même (ce qui implique de se pardonner), de se valoriser, de s’occuper de soi, d’être responsable pour soi-même, ainsi que la connaissance de soi et le respect de soi. L’égoïsme est le contraire de l’amour de soi. En fait les personnes égoïstes se détestent. Fromm résume ainsi la personne égoïste : « Elle est nécessairement malheureuse et s’acharne à tirer de la vie les satisfactions qu’elle s’empêche elle-même d’atteindre. »

Il est absurde de dire “Aimez les autres, mais ne vous aimez pas vous-mêmes » Pourquoi seriez-vous le seul être humain qui ne mérite pas votre amour ? Puisque toutes les personnes ont une valeur égale c’est illogique de placer quelqu’un avant vous-même.

Amanda Vallis a écrit :

Si nous méprisons les attributs que nous voyons en nous-mêmes il s’ensuit que nous méprisons ces mêmes attributs chez les autres, ce qui nous empêche d’aimer et d’accepter les gens comme ils sont. Si nous recherchons, trouvons et aimons les belles qualités que nous voyons en nous-mêmes nous pouvons alors faire la même chose avec les autres personnes.

Créer l’amour de soi

Comment pouvons-nous travailler sur l’amour de soi ? Comme pour l’amour pour les autres, nous pouvons agir de façons qui renforcent notre amour pour nous-mêmes. De tels actes génèrent aussi le sentiment d’amour pour nous-mêmes. S’aimer soi-même requiert de s’accepter, c’est-à-dire ne juger aucune de nos émotions, incluant des émotions inconfortables comme la sentimentalité, l’envie, la convoitise, la haine et la colère. S’accepter soi-même requiert l’élimination de la culpabilité. Une façon de le faire est de se pardonner pour notre passé. S’aimer soi-même implique de se comporter d’une manière qui valorise notre temps, notre amitié, notre sexualité, et notre individualité. Cela inclue de s’occuper activement de nos besoins dans les domaines de notre vie, comme la santé, le développement personnel et professionnel, l’éducation, se faire des amis, les relations amoureuses, la créativité, la liberté, donner du sens et se faire plaisir. S’occuper de soi-même signifie aussi faire ce qu’il faut pour être responsable pour soi-même, plutôt que de blâmer les autres ou les circonstances pour nos problèmes. Une façon d’encourager le respect de soi et l’amour de soi est de tenir les engagements (ou les résolutions) que nous prenons avec nous-mêmes. Pour s’aimer soi-même nous avons besoin de nous connaître, surtout nos besoins profonds. Enfin, nous avons besoin de cultiver le respect de soi en écoutant et en valorisant nos sentiments et notre dialogue intérieur.

L’amour et le conflit

Fromm signale une erreur répandue à propos de l’amour :

L’illusion que l’amour signifie nécessairement l’absence de conflit. Tout comme il est habituel pour les gens de croire que la douleur et la tristesse devraient être évitées dans tous les cas, ils croient que l’amour signifie l’absence de tout conflit. Et ils trouvent de bonnes raisons pour cette idée dans le fait que les conflits autour d’eux semblent n’être que des interactions destructrices qui n’apportent aucun bien à aucune des personnes concernées. Mais la raison en est que les « conflits » de la plupart des gens sont en fait des tentatives pour éviter le vrai conflit. Ce sont des désaccords sur des sujets mineurs ou superficiels qui par leur nature même ne peuvent être clarifiés ou solutionnés. Les vrais conflits entre deux personnes, ceux qui ne servent pas à recouvrir ou à projeter, mais qui sont vécus au niveau le plus profond de leur réalité intérieure, ne sont pas destructeurs. Ils conduisent à la clarification, ils produisent une catharsis dont les deux personnes ressortent avec plus de connaissance et plus de force.    

Pensées finales

Aimer est la plus haute expression de la capacité humaine, tout comme donner est la plus grande expression de la puissance humaine. Fromm a fait l’observation fondamentale que l’amour « est la seule réponse saine et satisfaisante à la problématique de l’existence humaine. » Il remarque aussi qu’aimer quelqu’un signifie que l’autre personne cesse d’être un objet.

Victor Frankl a écrit:

L’amour est l’unique moyen de saisir le coeur intérieur d’un autre être humain. Personne ne peut connaître l’essence même d’un autre être humain sans l’aimer. L’amour permet de voir les traits essentiels de la personne aimée ; et même de voir ses potentialités, qui ne sont pas encore révélées mais qui doivent l’être. 

L’affirmation superficiellement fausse « Tu es amour » signifie que votre nature la plus essentielle est la faculté ou le potentiel d’aimer. Cette faculté est toujours présente, qu’on l’exerce ou non. Aimer une autre personne c’est trouver un centre d’intérêt pour votre faculté d’aimer, de manifester ce qui est déjà en vous. Comme le dit Vincent Van Gogh :

Il y a la même différence entre une personne avant et après qu’elle est amoureuse qu’entre une lampe éteinte et une qui est allumée. La lampe était là et était une bonne lampe, mais maintenant elle éclaire en plus et c’est sa vraie fonction.

De mon point de vue « L’art d’aimer » d’Erich Fromm, que j’ai librement cité, est de loin le meilleur traitement du sujet de l’amour. Comme mon professeur préféré le disait à la classe : « Lisez-le avant de mourir. »

Je suis impressionné que le critère de Fromm soit la caractérisation la plus précise de l’amour érotique : que j’aime du plus profond de mon être et que je connaisse l’autre personne au plus profond de son être.

Jean-Louis Lamouille est psychologue du travail à Grenoble / Isère.
Il intervient sur toute la région Rhône Alpes en entreprise (Diagnostic social) pour la qualité de vie au travail, la prévention du burn-out, les risques psycho-sociaux.
Il pratique la sophrologie, la Gestalt-thérapie et la médiation.

L’AMOUR

« L’amour qui n’est pas fou n’est pas l’amour ! »
Ne confondons pas l’amour et la passion.
Au sujet du mariage forcé un psychologue anglo-indien m’expliquait : « -Pour vous autres occidentaux s’aimer, c’est manger ensemble une soupe brulante de passion. Au fil des semaines, des mois et des années, cette soupe refroidit et chacun en ressent de la rancœur à l’encontre de l’autre. Pour nous, nous acceptons de se retrouver autour d’une soupe froide. Ce faisant, nous apprenons dès le premier jour qu’il est de notre responsabilité de la réchauffer. Et nous en développons la compétence. Au final, je ne suis pas sûre que ce soient nous les plus malheureux ! »

Bien qu’il ne soit composé que de cinq lettres, le mot amour est l’un des plus grands. Qu’est-ce que l’amour ? C’est une question éternelle qui est probablement sans réponse, mais c’est quand même amusant de chercher une réponse. Mon article présente quelques approches de l’amour, principalement la plus attirante : l’amour romantique.

Le premier problème est sémantique, le mot ‘amour’ étant utilisé de façons tellement différentes. Peut-être plus que n’importe quel autre mot, « amour » peut signifier tout, ou presque rien. On l’utilise souvent sans même y penser. Quand quelqu’un dit ‘Je l’aime’ en parlant de la personne qui partage sa vie, ça ne veut pas dire grand-chose pour moi, jusqu’à ce que j’en sache beaucoup plus sur leur relation.

Signalons aussi que dans d’autres langues, le mot ‘amour’ a un usage plus limité; par exemple en polonais il est impossible de dire ‘J’aime le chocolat’.

Quelques citations

Je ne peux pas vivre avec toi ni sans toi.

En amour le paradoxe est que deux choses deviennent une et pourtant restent deux. (Erich Fromm)

Quel paradis est l’amour ! Quel enfer ! (Thomas Dekker)

La réduction de l’univers à un seul être, la dilatation d’un seul être jusqu’à Dieu, voilà l’amour. (V. Hugo)

L’illusion qu’une femme est différente d’une autre. (HL Mencken)

Dieu est Amour, j’ose dire. Mais quel Diable malin est l’Amour. (Samuel Butler)

Il en est du véritable amour comme de l’apparition des esprits : tout le monde en parle, mais      peu de gens en ont vu. (La Rochefoucauld)

Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. (Jean 15.13)

En amour, la ruse est de bonne guerre.

Si quelqu’un dit: J’aime Dieu, et qu’il haïsse son frère, c’est un menteur; car celui qui n’aime pas son frère qu’il voit, comment peut-il aimer Dieu qu’il n’a pas vu? (Jean 4.20)

Plaisir d’amour ne dure qu’un moment. Chagrin d’amour dure toute la vie. (J-P Claris de Florian)

L’amour est avant tout le don de soi-même. (Jean Anouilh)

Il n’y a guère de gens qui ne soient honteux de s’être aimés, quand ils ne s’aiment plus. (La Rochefoucauld)

Un cœur qui aime est la sagesse la plus vraie. (Charles Dickens)

Aimer et être prudent dépasse la force d’un homme. (William Shakespeare)

On ne dirait pas que toutes ces citations se rapportent à la même chose. Comment peut-on éviter la confusion ?

Prédisposition ou émotion ?

Comment pouvons-nous comprendre le crime passionnel, quand un mari jaloux tue la femme qu’il adore, ou le dicton ‘Qui aime bien châtie bien’ ?

Une grande confusion vient du fait que le mot ‘amour’ fait référence à la fois à une émotion et à une attitude ou prédisposition. L’émotion que nous ressentons dans notre cœur et que l’on appelle l’amour, est une expérience fugitive, comme tous les autres sentiments. Ca peut durer une journée, une heure ou seulement un instant. Cela ne peut demeurer permanent et immobile, pas plus que la colère ou la tristesse, aussi longtemps qu’elles puissent durer. Bien que ce soit merveilleux de ressentir cette émotion appelée l’amour, quand cette émotion est absente, elle est absente, et on ne peut la provoquer même par la meilleure volonté du monde. Contrairement à l’émotion de l’amour, l’attitude de l’amour peut être une orientation permanente.

La différence déterminante entre l’amour-sentiment et l’amour-orientation est visible dans le comportement d’une personne qui aime passionnément mais qui agit cruellement envers l’objet de son amour.

L’émotion de l’amour n’est pas une forme plus intense de l’amitié ; c’est fondamentalement différent. Certaines personnes aiment une personne mais ne l’apprécient pas. Une autre erreur courante est de voir l’orientation de l’amour comme « tout ou rien ». Si je fais quelque chose en étant complètement désintéressé, alors cet acte est une expression de mon amour, quelle que soit son importance, et indépendamment de mes sentiments pour cette personne.

Le sentiment d’amour est souvent, mais pas toujours, accompagné de l’orientation d’aimer, c’est-à-dire être gentil avec ceux qu’on aime. Pourtant, on peut prendre soin d’une personne sur une longue période de temps, pendant laquelle on peut ne ressentir de l’amour que de temps en temps, voire même pas du tout.

Stephen Covey a pointé que l’amour se fonde sur des actes, autant que par les sentiments qu’il nous inspire. Les gens conduits par leurs sentiments ne prennent pas de responsabilité en amour. Ils n’ont pas conscience que le sentiment d’amour peut se reconquérir. Il se regagne quand nous agissons d’une façon aimante : en affirmant, appréciant, en étant attentif, gentil, affectueux, en faisant de petits sacrifices et en étant généreux, en communiquant, et en cherchant à comprendre notre partenaire. Un autre exemple est de ne pas remarquer les petits défauts de l’autre personne. Il est important de réaliser que ces actions ne dépendent pas du sentiment d’amour mais que l’amour en est la conséquence. Les personnes qui agissent avec amour créent le sentiment d’amour en elles-mêmes. Evidemment c’est ainsi que l’autre personne répondra d’une façon positive.

On peut argumenter que nous avons besoin d’être créatifs pour être aimants envers les autres personnes. Par contraste, regardez le mari qui achète le même bouquet d’oeillets rouges tous les vendredis pour sa femme.

Krishnamurti a fait une distinction entre l’amour et le sentiment :

Être sentimental, être émotif, ce n’est pas de l’amour, parce que la sentimentalité et l’émotion sont seulement des sensations. Une personne croyante qui pleure au sujet de Jésus ou de Krishna, au sujet de son gourou ou de quelqu’un d’autre, est simplement sentimentale, émotive, il lui est impossible de savoir ce qu’est l’amour. Encore, ne sommes-nous pas émotifs et sentimentaux ? La sentimentalité, l’émotivité, est simplement une forme d’auto-expansion. Être empli d’émotion n’est évidemment pas de l’amour, parce qu’une personne sentimentale peut être cruelle quand on ne répond pas à ses sentiments, quand ses sentiments ne trouvent pas d’exutoire. Une personne émotive peut être motivée pour haïr, pour faire la guerre, pour massacrer. Un homme qui est sentimental, plein de larmes pour sa religion, n’éprouve sûrement aucun amour.

Scott Peck ajoute, « C’est facile et pas du tout déplaisant de trouver une preuve d’amour dans nos propres sentiments. Cela peut être difficile et douloureux de chercher une preuve d’amour dans nos propres actes. » Il cite l’exemple d’un alcoolique dans un bar qui, les larmes aux yeux, parle au cafetier de l’amour qu’il a pour sa femme et ses enfants, et qui ont besoin de son attention à ce même moment. Dans une veine différente, Chet Snow prévient de ne pas prendre l’amour pour « le manège émotionnel et égocentrique de l’attirance sexuelle et du désir de possession. »

Pour revenir aux 15 citations, toutes ne sont pas facilement classables comme émotion ou orientation. Je pense que les n° 1, 3, 5, 6, 9, 11, 13 et 15 se réfèrent clairement à une émotion, tandis que les n° 8, 10, 12 et 14 se réfèrent clairement à une orientation. Peut-être que ce que nous disent vraiment ces citations c’est que l’amour est tellement mystérieux que personne ne sait réellement ce que c’est. L’amour est comme le contenu d’une boîte noire : chacun de nous y voit ce qui lui importe le plus.

J’ai pensé à ce qu’est l’amour pour moi, personnellement, quels en sont les aspects essentiels tels que je les ai vécus. J’ai listé : l’attention, la gentillesse et l’affection, être en communion avec empathie, et la confiance. L’amour réduit la séparation entre moi et une autre personne. Je le ressens comme un lien véritable, que je vis au plus profond de moi-même.

Au regard de ma liste, il me semble que le sentiment et l’orientation ne peuvent pas être séparés. Prenons l’attention, il s’agit bien d’une orientation, mais peut-elle être séparée du sentiment ? Vous êtes sûrement attentionné parce que vous ressentez quelque chose pour cette personne ou cette chose. La gentillesse et l’affection sont des sentiments mais peuvent-elles être séparées d’une attitude amicale ? La proximité est un sentiment mais c’est aussi une décision de s’impliquer, d’accepter d’être vulnérable, de laisser tomber nos défenses. « Etre en communion avec » est évidemment un sentiment, mais il existe un autre mot pour l’exprimer : empathie, qui est une forme de relation à l’autre. L’empathie peut être juste une technique, comme dans le conseil. La confiance est une attitude mais qui est clairement chargée de sentiment.

C’est la question de l’oeuf et de la poule : est-ce que je me sens proche de ma partenaire parce que je l’ai décidé ou parce que c’est une tendance chez moi, ou bien mon attitude d’ouverture naît-elle du sentiment que j’ai quand je suis avec elle ? Il est clair que l’un se nourrit de l’autre. Quand je pense à mon amour pour elle je pense à ma relation à elle, et cette relation inclue à la fois les sentiments et les orientations, qui sont inextricablement liés.

Ainsi la division de l’amour en sentiment et orientation est quelque part artificielle. Un peu comme de parler des traces que laissent les roues avant et arrière d’un vélo, qui roulent sur le même chemin. C’est bien de se rappeler que nous, les êtres humains, sommes basiquement conduits par nos émotions. Nos attitudes et nos orientations de vie ne viennent pas d’analyses ou de pensées rationnelles, mais naissent de notre vie émotionnelle. Pourtant il me semble que diviser simplement l’amour en sentiment et orientation peut nous aider à comprendre le paradoxe des gens qui sont cruels envers ceux qu’ils disent aimer. En bref, on ne peut être égoïste et cruel envers l’autre personne si notre attitude envers elle est aimante.

A des fins d’analyses, il me semble que l’amour peut être divisé en sentiment et orientation, et que cette orientation d’amour peut être elle-même divisée en plusieurs composantes. Cependant rien de complexe ne peut être réduit à la somme de ses composants, et l’amour particulièrement. Ainsi il est important de se rappeler que ce que je présente ci-dessous n’est qu’un modèle, une façon de tenter de comprendre ce qu’est l’amour. Si cela trouve une résonnance avec votre propre expérience ou clarifie les choses alors cela aura servi à quelque chose.

L’essence de l’amour

L’amour-orientation est basiquement prendre soin de la personne que nous aimons. C’est vouloir le bien-être de l’autre personne sans aucun profit pour soi-même. L’amour est de la bonne volonté sans motivation. Nous pouvons facilement dire si nous aimons ou pas. Nous aimons si nous faisons quelque chose pour une personne purement parce que nous lui voulons du bien, sans arrière-pensée de récompense, de gratitude, ou même d’augmentation de l’estime de soi. Une indication est quand nous n’avons pas besoin que l’autre personne sache que nous avons fait quelque chose pour elle. Cela va sans dire, les actes accomplis par obligation, devoir ou culpabilité ne sont pas des expressions de l’amour.

L’amour est sa propre motivation. Etant la source ultime de motivation, il n’y a rien derrière. Il y a beaucoup d’autres motivations, tels que le plaisir, la sécurité, le pouvoir, l’acceptation, le devoir, la liberté et l’accomplissement. Ces autres motivations manquent de l’auto-suffisance de l’amour. Quand vous aimez quelqu’un, vous en prenez soin pour son propre bien, pas pour le bénéfice ou l’effet que vous en retirez. L’objet de votre amour a une valeur intrinsèque pour vous, c’est-à-dire une valeur indépendante de votre propre existence. L’amour a besoin du profit pour l’autre, sans profit pour soi-même. Peut-être en fin de compte que l’amour c’est vouloir le profit pour l’univers, pas pour notre bien individuel.

“Laisse-moi te dire comment je t’aime”

Je ne sais pas s’il est possible d’analyser le sentiment que nous appelons l’amour. Cependant, l’amour-orientation dans une relation adulte peut être analysée en composantes : l’attention, le respect, la connaissance, le don, le savoir-recevoir, l’acceptation et l’intimité. 

L’attention est primordiale. L’amour sans attention n’a aucun sens.

Vous ne pouvez pas aimer ceux que vous ne respectez pas, vous ne pouvez qu’en avoir pitié. L’amour implique une considération inconditionnelle, c’est-à-dire respecter et apprécier l’autre personne, indépendamment de ce que vous pensez de ce qu’elle fait ou dit. Il est possible de respecter même un petit enfant, d’apprécier son autonomie et de respecter ses potentialités.

Il est essentiel de connaître la personne, autrement vous pouvez n’aimer que l’idée que vous vous faites de cette personne et pas la personne elle-même. C’est ce qu’on appelle la projection – voir à l’intérieur des autres ce qui est en fait dans votre propre esprit. La connaissance impliquée dans l’amour n’est pas un élément statique ; c’est plutôt une compréhension grandissante de l’autre personne, une perception de plus en plus précise de ce que cela fait d’être elle.

Si vous n’êtes pas dans le don avec la personne que vous dites aimer, alors elle ne compte pas vraiment pour vous. Bien sûr, tous les dons ne sont pas l’expression de l’amour. Le mari accro à son boulot qui donne de l’argent mais est avare de son temps en est une illustration évidente. Donner d’une manière aimante signifie répondre aux attentes ou aux besoins des autres, pas seulement donner ce qui est facile pour vous. Connaître l’autre est indispensable puisque ne pas savoir ce dont il a besoin peut saboter votre don. La transaction – je te donne ceci si tu me donnes cela – n’est pas non plus une expression de l’amour.

La nécessité de savoir recevoir est moins évidente. Si vous savez donner mais pas recevoir, cela signifie que vous ne vous mettez pas au même niveau que l’autre personne. Si c’est une habitude dans la relation, cela conduit au mépris, bien qu’on n’en soit pas forcément conscient. Il n’y a de véritable lien avec l’autre que quand on sait à la fois donner et recevoir librement. Si on ne sait pas recevoir alors on reste séparés. Recevoir est plus facile à dire qu’à faire. Il est souvent plus facile de faire une faveur que d’en demander une. Un aspect intéressant du savoir-recevoir est que vous aurez toujours un problème avec cela tant que vous serez incapable de donner sans en attendre rien en retour.

Evidemment c’est impossible d’aimer quelqu’un que l’on n’accepte pas. Le jugement que vous portez ne peut que causer la séparation. La question serait donc plutôt : A quel point avez-vous besoin d’accepter quelqu’un pour pouvoir l’aimer ?

L’intimité

L’intimité est l’élément le plus complexe et le plus fascinant de l’amour. L’intimité c’est être lié à l’autre par un contact émotionnel profond, un sentiment de proximité avec l’autre. C’est l’exact opposé de la séparation ou de l’aliénation. Les manifestations les plus caractéristiques de l’intimité sont la tendresse et l’affection. Un trait important de l’intimité est que c’est irremplaçable. On peut remplacer un beau visage ou un beau corps – ou même une belle personnalité – par un autre. Il n’en est pas de même avec cette qualité appelée l’intimité.

L’intimité est plus une forme de relation à l’autre qu’un sentiment. Etre intime avec une personne signifie que nous sommes vraiment nous-mêmes avec elle, sans aucune barrière ni façade. C’est possible seulement quand on est à l’aise avec l’autre, idéalement au point de se sentir comme quand on est seul avec soi-même. Ca prend du temps, ou plus exactement, cela requiert un processus long et mutuel de révélation de soi-même. Enfin, l’intimité signifie être totalement connu de l’autre, c’est-à-dire ne rien tenir caché consciemment. Montague Ullman explique l’importance de cela, « La liberté de dévoiler qui l’on est est également la liberté d’être soi-même. »

Il y a quatre facteurs importants liés à l’intimité : l’empathie, l’ouverture, la vulnérabilité et la confiance.

L’empathie et l’ouverture

Si les sentiments de la personne que vous aimez n’ont pas beaucoup de valeur pour vous alors c’est une forme d’amour de bas niveau, si c’est de l’amour. Ca ne peut aussi qu’empêcher l’intimité. Ainsi l’empathie – être attentif aux sentiments de l’autre et les respecter – est également indispensable. Si vous n’êtes pas ouvert alors vous ne vous impliquez pas dans la relation, ce qui exclue l’intimité. Le manque d’ouverture mais couplé avec l’empathie signifie une relation inégale, comme dans les situations de conseil. Quand nous sommes sensibles et répondons aux sentiments des autres mais sommes incapables de dévoiler nos propres sentiments intimes, alors nous maintenons une défense. A moins qu’il y ait à la fois l’ouverture et l’empathie, la séparation demeure. Ceci est similaire au besoin de donner et de recevoir.

La vulnérabilité

L’intimité demande plus que d’être connu, cela signifie être totalement accessible. Car une totale intimité signifie être touché au plus profond de soi par l’autre, sans aucune barrière. Cette volonté ou capacité à s’autoriser à être touché est inhérente à la vulnérabilité.

La vulnérabilité est paradoxale. Bien qu’elle semble être une faiblesse, c’est en fait une force. En réalité nous sommes tous vulnérables parce que nous sommes sensibles. Pourtant nous dissimulons souvent notre vulnérabilité sous une apparente dureté, l’humour, en étant cynique ou en intellectualisant. S’autoriser à être vulnérable signifie ouvrir son cœur à l’autre. Cela peut conduire à être blessé par l’autre mais l’alternative est de construire une barrière défensive, ce qui est finalement encore plus douloureux. La vulnérabilité dépend de la confiance en l’autre.

La peur de la vulnérabilité

Holmes et Rempel pensent que les peurs suivantes contribuent à la peur d’être vulnérable : la peur d’être rejeté et blessé ; la peur de perdre son individualité ou d’être englouti ; la peur de voir ses faiblesses exposées ; la peur des ses propres impulsions destructrices si on déchaîne ses sentiments ; la peur que l’information divulguée soit utilisée ultérieurement comme munitions ; la peur de perdre le contrôle.

La confiance

Je crois que la confiance est la clef de voûte de l’intimité dans une relation d’amour entre deux adultes. La confiance est plus qu’un haut degré d’ouverture et d’honnêteté des deux côtés. Ca comprend la certitude de pouvoir compter sur l’autre, que l’autre ne se comportera pas de façon irresponsable ou égoïste dans les moments importants. Avoir confiance en l’autre implique de sa part une loyauté et une affection inconditionnelles. Dit simplement, la confiance est l’assurance de savoir où on en est avec l’autre, que l’autre personne est « de notre côté ». Enfin, avoir confiance en quelqu’un signifie ne pas en avoir peur. Sans un degré quelconque de confiance, l’intimité est impossible.

L’amour et l’amitié

Peut-on différencier l’amour de l’amitié par les qualités d’attention, de respect, de connaissance, de don, de capacité à recevoir, d’acceptation et d’intimité ? Je crois qu’elles s’appliquent toutes dans une vraie relation amicale. La différence entre l’amitié et l’amour érotique est que ce dernier inclue cette substance magique qu’est la passion – « un état de désir intense de s’unir à l’autre ». Il s’agit bien sûr d’un sentiment qui ne peut appartenir à la liste des orientations. Et puis, il y a le meilleur ami de l’homme, le sexe. La passion donne naissance à un attachement fort et au besoin, mais je les vois comme des effets conjoints, qui n’appartiennent pas à l’amour en tant que tels. Cela va sans dire que si un couple s’aime mutuellement (c’est-à-dire avec les sept qualités citées), alors ce sont également des amis proches. Ainsi je ne pense pas que l’amour en tant qu’orientation puisse se différencier de l’amitié. Après tout, n’aimons-nous pas nos plus proches amis ? Seule manque la dimension érotique, ainsi que, peut-être, une différence de degré.

L’engagement

Robert Sternberg a avancé un modèle d’amour composé d’intimité, de passion et d’engagement. Il définit ce dernier comme, à court terme la décision d’aimer l’autre, à long terme un engagement de maintenir cet amour. Son idée est intéressante car elle nous permet de distinguer différentes sortes de relations, telles que : l’amitié (seulement l’intimité), l’engouement (seulement la passion), le mariage de raison ou d’intérêt (seulement l’engagement), le compagnonnage (l’intimité et l’engagement sans la passion), l’amour romantique (la passion et l’intimité sans engagement), le « mariage façon Hollywood » – quand un couple se marie deux semaines après s’être rencontré (l’engagement et la passion sans l’intimité), et l’amour véritable (les trois ensemble).

Cependant je pense que la division de Sternberg est trop simpliste, puisqu’elle omet quelques-uns des ingrédients essentiels de l’amour –  tels que l’attention et le don. Quant à l’engagement, je crois que c’est un effet, et non pas un composant de l’amour. Deux personnes voudront en effet naturellement rester ensemble si elles s’aiment. Vivant une telle relation depuis 34 ans, je peux dire qu’une décision consciente de rester ensemble n’a jamais fait partie du tableau pour aucun de nous. Plutôt, le désir de rester ensemble a été le résultat de notre amour l’un pour l’autre. D’autre part, une personne qui regimbe à s’engager parce qu’elle préfère sa liberté à sa relation, ne peut pas goûter les fruits de l’amour, ou du moins c’est ce qu’il me semble.

La pratique contre la théorie

Il existe d’innombrables proverbes qui louent le miracle de l’amour. A part quelques cyniques (comme La Rochefoucauld), quasiment tout le monde admet que l’amour est une des meilleures, sinon la meilleure chose dans la vie. Si c’est vrai alors pourquoi ne vivons-nous pas tous abondamment l’expérience d’aimer et d’être aimé ? C’est un des grands paradoxes de la vie, et un qui reçoit peu d’attention. Quelques-uns des aphorismes cités suggèrent que, comme toute chose dans la vie, l’amour a un prix. Quel pourrait bien être le prix de l’amour – quand l’amour est gratuit pour tous ?

Le prix de l’amour

Le prix de l’amour est que ça nécessite de limiter notre ego. J’utilise le mot ego au sens familier du terme, comme dans « Il se vante parce qu’il a des problèmes d’ego. » Par ego, je veux dire l’image que chacun de nous a de soi-même et dans sa relation au monde. Nous nous donnons parfois beaucoup de mal pour protéger cette image. L’ego inclue un attachement à notre propre importance, à ce que les autres pensent du bien de nous, à nos propres opinions, à ce que nous aimons et à ce que nous n’aimons pas, et à nous voir nous-mêmes sous une lumière flatteuse. Deux mots sont de bons synonymes d’ego : prestige et orgueil.

L’ego est un faux sens de l’identité, un semblant que nous nous efforçons de préserver. C’est l’ego qui nous empêche de reconnaître nos torts. Ainsi nous pouvons préférer perdre un ami qu’une dispute. Un exemple clair de l’ego au travail est quand nous essayons de sauver la face. L’ego est un sens de la fierté faussé qui masque une profonde insécurité. Dès que nous sommes sur la défensive c’est notre ego qui agit. Car l’ego est comme un ballon gonflé que nous veillons constamment à ne pas crever. L’ego est un narcissisme fragile qui nous coûte beaucoup. Ca peut se résumer à être accroché à avoir les choses comme on les veut. Si mon ego est très développé alors je verrai chacun, et chaque chose, existant seulement pour mon profit.

Le conflit entre l’amour et l’ego devient clair quand nous passons en revue les sept composants de l’amour. L’affection demande un transfert de notre intérêt de soi-même vers autrui. Le respect n’est possible que si nous ne sommes pas englués en nous-mêmes. Connaître l’autre nous oblige à déplacer notre centre d’intérêt vers les autres. Le don va à l’encontre de l’égotisme. Recevoir va à l’encontre de l’orgueil. Accepter l’autre nous oblige à abaisser nos jugements basés sur notre ego. L’empathie nécessaire à l’intimité n’est possible que si nous sommes véritablement centrés sur l’autre personne, nous mettant de côté pour le moment. De la même façon, l’ouverture signifie abaisser nos propres défenses. Faire confiance et se montrer vulnérable n’est possible que si nous ne craignons pas d’être envahi ou rejeté par l’autre.

Une bonne relation ne devrait pas constituer un accomplissement. Il suffit que je sois gentil avec toi si tu es gentil avec moi. C’est une forme simple d’amour conditionnel où tout le monde est gagnant. Pourtant même cela est difficile pour les êtres humains. Une raison en est la présence de deux egos. Un autre problème est du aux idées incompatibles de comment chaque partenaire pense que l’autre devrait se comporter. Aussi, tandis que nous voyons et expérimentons directement tout ce que nous faisons pour l’autre, et sommes très conscients de nos propres besoins, nous sommes beaucoup moins conscients de ce que l’autre fait pour nous et de ses besoins. Nous ressentons nos blessures directement et douloureusement ; nous devons imaginer ce que l’autre ressent réellement. Peu d’entre nous font de vrais efforts dans ce domaine.

Faire l’amour

Cela nous ramène à l’importante observation de Covey : que je peux créer le sentiment d’amour en moi-même par le biais d’actes d’amour. Je peux le faire en étant attentif et en respectant l’autre, en m’intéressant vraiment à l’autre, en étant généreux et en l’aidant, en lui permettant de me donner (en lui demandant une faveur) et en lui montrant que je l’accepte. Agir d’une façon qui favorise l’intimité est encore plus direct. En faisant ça je peux écouter et montrer que je comprends les sentiments de l’autre personne, divulguer ce que je ressens profondément, m’autoriser à montrer mes propres faiblesses, et agir d’une façon qui lui montre que je lui fais confiance.

Le psychologue John Gottman a dit « Le sexe, le romantisme et la passion sont recevoir l’information et l’énergie, par opposition à les émettre. Ainsi il ne s’agit pas d’être sexy ou séduisant, il s’agit de s’intéresser à votre partenaire, d’être réceptif et connaître l’autre, et de recevoir de l’autre personne quelque chose de profond et de fondamental. C’est une décision de chaque instant d’être intéressé par l’autre personne, de lui rendre hommage. » Les personnes douées pour les relations ont cette habitude de rechercher des choses à apprécier.

L’amour est fragile et vulnérable, contrairement à la colère ou à la haine. Le tester peut le briser. Nous nous indignons si l’autre présume trop de notre amour. C’est une comparaison vulgaire, mais la relation d’amour est un peu comme un compte bancaire : si l’autre effectue plus de retraits que de dépôts, alors notre amour pour l’autre en souffre. C’est important de rappeler qu’il y a deux personnes impliquées, et que le donneur et le receveur ne donneront pas la même valeur à un acte généreux. Si nous donnons sans considération de la personnalité du receveur, alors le résultat peut être contre-productif, par exemple nous pouvons heurter sa fierté. D’un autre côté, la connaissance agit comme un levier, en ce sens que quelque chose qui me coûte peu à faire peut être ressenti comme un grand geste par l’autre personne. Il est beaucoup plus facile de satisfaire son partenaire quand on est sensible à ses besoins.

L’amour inconditionnel

Une autre division fondamentale se trouve dans l’amour conditionnel et inconditionnel. L’amour conditionnel est basé sur l’ego. En gros, c’est : je t’aime parce que tu me donnes ce que je veux. Ou encore : tu es à la hauteur de mes idéaux et je juge que tu mérites mon amour.

L’amour inconditionnel signifie aimer l’autre personne indépendamment de ce qu’elle fait, ou même de la façon dont elle nous traite. Cela signifie aimer le pécheur, pas le péché. L’exemple courant d’amour inconditionnel est l’amour maternel. Par contraste, l’amour paternel est conditionnel, demandant à l’enfant d’être à la hauteur des idées de son parent. Cela signifie qu’on n’est pas aimé pour soi-même mais parce ce qu’on plaît. L’amour maternel et l’amour paternel ne doivent pas être pris au sens littéral, puisqu’ils font référence à des archétypes. Ainsi un père actuel peut aimer d’une façon quasiment maternelle, tandis que son épouse aimera leur enfant d’une façon plutôt paternelle.

Certains affirment que seul l’amour inconditionnel est l’amour véritable. Bien que je reconnais que l’amour inconditionnel est une forme d’amour plus pure, je pense que c’est une vision trop rigoureuse. Que celui qui aime d’un amour complètement inconditionnel jette la première pierre !

Krishnamurti a écrit:

Le problème est : qu’est-ce que l’amour sans mobile ? Existe-t-il un amour sans motivation, sans vouloir retirer quelque chose pour soi-même de cet amour ? Existe-t-il un amour où on ne se sente pas blessé quand cet amour n’est pas réciproque ? Si je vous offre mon amitié et que vous me tournez le dos, est-ce que je n’en souffre pas ? Est-ce que ce sentiment d’être blessé, est le résultat de l’amitié, de la générosité, de la sympathie ? Sans doute, tant que je me sens blessé, tant qu’il y a de la peur, tant que je vous aide en espérant que vous puissiez m’aider…ce n’est pas de l’amour. Si vous comprenez cela, la réponse est là. 

Krishnamurti résume son intransigeance par : « Le soi n’existe pas quand on aime. » Je pense qu’il est certain que moins on a d’ego, plus on peut aimer facilement. Les personnes trisomiques l’illustrent d’un façon poignante.

Dans “L’insoutenable légèreté de l’âme » de Milan Kundera, une femme dit à son mari qu’elle aime plus son chien qu’elle ne l’aime lui, ou plutôt, qu’elle aime le chien d’une « meilleure façon ». Je pense qu’elle veut dire qu’il est plus facile d’aimer un chien sans conditions, sans attendre de lui autre chose que d’être un chien.

Aimer contre être aimé

Aimer est plus important que d’être aimé (je parle de l’attitude d’amour). Pourquoi ? parce que votre amour est en vous-même, ce n’est pas un facteur extérieur dont vous dépendez. C’est votre expérience intérieure que personne ne peut vous enlever. Aimer est sous votre contrôle et vous en êtes complètement responsable. Ca vaut aussi la peine de noter que les gens semblent prendre plus de plaisir à donner qu’à recevoir.

L’attitude d’amour est l’orientation la plus positive et la plus productive envers les gens et la vie en général. Comme un effet secondaire, il se trouve que cela vous assure d’être aimable. Tandis qu’être aimé ne vous garantit pas que vous êtes aimable. On peut vous aimer pour des raisons qui ne sont pas liées à votre valeur en tant que personne, comme la richesse, la beauté ou le statut.

Krishnamurti l’exprime mieux que je sais le faire :

Vous voulez être aimé parce que vous n’aimez pas ; mais dès que vous aimez, c’est terminé, vous ne vous souciez plus si quelqu’un vous aime ou pas. Tant que vous demandez à être aimé, il n’y a aucun amour en vous ; et si vous ne ressentez aucun amour, vous êtes laid, bestial, alors pourquoi vous aimerait-on ? Sans amour vous êtes un être mort ; et quand un être mort demande à être aimé, il est toujours mort. Au contraire, si votre cœur est empli d’amour, alors vous ne demandez jamais à être aimé, vous ne tendez jamais votre bol à quelqu’un pour le remplir. Seul le vide demande à être rempli, et un cœur vide ne sera jamais rempli en courant après les gourous ou en cherchant l’amour de mille autres façons.

Les styles d’amour

John Lee a fait une intéressante classification des formes d’amour existant entre la femme et l’homme : érotique, amical et ludique. L’amour érotique se caractérise par une attirance physique instantanée et puissante. L’amoureux érotique recherche son idéal de beauté. C’est une forme passionnée d’amour. A l’opposé, l’amour amical est basé sur l’amitié et le compagnonnage, plutôt que sur un sentiment intense. Ces amants restent souvent bons amis après une rupture. L’amant ludique, quand il n’est pas aux côtés de celle qu’il aime, aime celle qui est à côté de lui. Ils contrôlent leurs émotions et ne pensent pas que l’amour est aussi important que le travail ou les autres activités. Il me semble que la forme ludique se réfère à une façon de se comporter avec le sexe opposé, plutôt qu’à l’amour dans un sens véritable.

Robin Norwood fait une distinction similaire en opposant eros avec agapé. Eros « concerne un amour passionné, tandis qu’agapé décrit une relation stable et engagée dénuée de toute passion, qui existe entre deux individus profondément attentifs l’un à l’autre. » Norwood remarque que nous sommes conditionnés pour accepter l’illusion qu’une relation passionnée (eros) nous apportera la satisfaction et le contentement (agapé). « La peur est le prix à payer pour la passion, et la douleur et la peur mêmes qui nourrissent l’amour passionné peuvent le détruire. Le prix à payer pour l’engagement stable est l’ennui, et la sécurité et la sûreté mêmes qui cimentent une telle relation peuvent aussi la rendre rigide et sans vie. » Sa solution pour résoudre ce dilemne éternel est de développer l’intimité véritable. Cela signifie une exploration encore plus profonde des « mystères pleins de joie entre un homme et une femme ».

Norwood est célèbre pour son livre « Les femmes qui aiment trop ». Je pense que le titre est mal choisi : les femmes n’aiment pas trop, mais certaines aiment mal – d’une façon dépendante, unilatérale, sans connaissance ou intimité, sans recevoir et donc sans attention pour elles-mêmes.

Aimer contre être amoureux

Aucune confusion concernant les sentiments humains n’est plus universelle ou n’a plus brisé les cœurs que la différence entre la projection et l’amour véritable. Entre « être amoureux » (c’est-à-dire l’amour romantique) et « aimer ». Quand nous projetons, nous n’établissons pas de relation aux autres mais aux aspects qu’ils évoquent de notre propre psyché.

L’amour romantique, surtout le coup de foudre, est un exemple classique de projection. Un homme qui tombe amoureux de cette façon n’est pas liée à l’autre personne puisqu’il ne la connaît pas du tout. A la place, il répond à sa propre image de la femme idéale (c’est-à-dire son anima). En fait, moins il connaît la femme, plus il lui est facile de projeter son idéal intérieur sur elle. Mettre une femme sur un piédestal n’est aucunement élever son statut, mais plus une façon d’éviter de traiter avec elle comme une personne. Une femme parle ainsi de son propre manque d’amour, en disant : « Si je l’avais aimé je n’aurais pas vu ses défauts. » Ainsi le dicton « L’amour est aveugle. » Plus précisément, l’amour sans la connaissance – c’est la projection – est aveugle.

Richard Roberts a écrit :

Naturellement quand on tombe amoureux, il se produit une projection ; autrement l’individu qui nous enchante ne se détacherait pas du reste des gens. Quand on voit ça se produire chez un de nos amis, nous disons « Je me demande ce qu’il lui trouve. » Quand ça nous arrive à nous, nous sommes certains que l’objet de notre amour a des qualités spéciales que les autres n’ont pas.

Il va sans dire qu’il est insupportable pour une personne aimée de supporter l’image de dieu ou de déesse que la personne qui l’aime projette sur elle. Quand l’amoureux réalise que l’autre personne est imparfaite, juste comme elle est, la désillusion s’ensuit et la période « d’être amoureux » se termine. Avec de la chance, l’expérience d’amour romantique peut se transformer en expérience d’amour – qui est d’apprécier l’autre personne pour ce qu’elle est, pas pour ce que nous aimerions qu’elle soit. D’une autre façon, cela peut amener le « projectionniste » déçu à rechercher une autre personne de qui tomber amoureux.

L’étape d’être amoureux a un goût de paradis, mais cela ne dure pas. Le reste de la relation ne peut pas tenir cette « hauteur ». Naturellement, nous voulons retrouver ce sentiment merveilleux. Mais comment ? J’aimerais avoir la réponse ! Etre dans une relation d’amour continue donne de belles récompenses, mais qui ne sont pas aussi spectaculaires que celles dues à la phase « être amoureux ».

Hollywood et les romans romantiques ont encouragé le faux mythe de « l’amour vrai » – celui où trouver le partenaire idéal résoud magiquement tous les problèmes relationnels. Ce faux jugement est gardé vivant par le processus normal de développement et de désintégration d’une relation (pour les relations qui ne durent pas). Une personne passant à travers ce processus compare le pire du dernier partenaire avec le meilleur du nouveau partenaire. Il serait difficile de ne pas le faire, puisque les souvenirs de l’ex-partenaire en amoureux ont été gravement endommagés, souvent enterrés par des années d’amertume et d’acrimonie. De cette façon, les gens risquent de répéter une expérience qui se terminera mal, parfois même avec un partenaire très similaire au précédent. A la question de savoir s’il se remarierait, un homme divorcé a répondu : « Oh que non, je trouverais plutôt une personne que je hais et je lui offrirai une maison. »

Comme le dit Samuel Rogers, « Ce n’est pas important de savoir qui on épouse, parce qu’on est sûr de réaliser le lendemain matin que c’était quelqu’un d’autre. » Le psychologue John Gottman a étudié les relations durables depuis plus de 30 ans. A la question : “Les choses qui nous font tomber amoureux de quelqu’un sont-elles annonciatrices d’une relation durable réussie ?” Gottman a répondu : “D’après ce que je sais elles ne prédisent rien. L’amour romantique est une mauvaise base pour le mariage. »

Erich Fromm va encore plus loin :

L’amour n’est pas d’abord une relation à une personne précise ; c’est une attitude, une prédisposition du caractère qui détermine la relation d’une personne au monde dans son entier, pas seulement envers un « objet » d’amour. Si une personne aime une seule autre personne en étant indifférente aux autre êtres humains, son amour n’est pas de l’amour mais un attachement symbiotique, ou un égoïsme élargi à une autre personne qu’elle-même. Pourtant, la plupart des gens croient que l’amour est constitué par son objet, et non pas par la faculté même d’aimer. En fait, les gens croient même que c’est une preuve de l’intensité de leur amour quand ils n’aiment personne sauf la personne « aimée ». Parce qu’on ne voit pas qu’aimer est une activité, un pouvoir de l’âme, on croit que tout ce qui est nécessaire est de trouver le bon « objet » – et que tout ira de soi après ça. Cette attitude peut être comparée à celle de l’homme qui veut peindre mais qui, au lieu d’apprendre la technique artistique, affirme qu’il a juste à attendre le bon objet, et qu’il peindra merveilleusement quand il l’aura trouvé. Si j’aime véritablement une personne j’aime toutes les personnes, j’aime le monde, j’aime la vie. Si je peux dire à quelqu’un « Je t ‘aime », je dois pouvoir dire « En t’aimant, j’aime toutes les autres personnes, j’aime le monde, je m’aime aussi moi-même. »

Etre amoureux manque de quelques éléments-clefs de l’amour. D’abord, l’acceptation – car nous aimons l’autre personne parce qu’elle semble correspondre à notre idéal intérieur, pas pour ce qu’elle est. L’intimité – puisqu’une relation de profonde confiance n’a pas encore été construite. Par dessus tout, la connaissance – nous ne connaissons simplement pas encore l’autre personne. A cause de cela, le respect ne signifie rien si nous respectons une idéalisation, pas la personne. Cela nous donne un indice pourquoi les gens sont si amers par la rupture d’une histoire d’amour : ils se sentent profondément trompés. Trompés parce que la personne idéale qu’ils voyaient dans leur partenaire s’est révélée tout simplement humaine.

Gloria Steinem a observé, «La romance est un moyen qui mène à la fin de la réalisation de soi, mais l’amour est une fin en soi.» Cela mène au critère le plus net pour distinguer « aimer » d’ « être amoureux », écrit par Margaret Anderson : « Dans l’amour véritable on veut le bien de l’autre personne. Dans l’amour romantique on veut l’autre personne. »

Ce critère peut s’appliquer à d’autres formes d’amour. Ainsi une mère qui voit son enfant comme une partie d’elle-même ou comme lui appartenant n’est pas une mère aimante. Fromm explique :

La mère ne doit pas seulement tolérer, elle doit souhaiter et soutenir la séparation d’avec son enfant. C’est seulement à ce stade que l’amour maternel devient une tâche tellement difficile, nécessitant de l’abnégation, la capacité à tout donner et à ne rien vouloir à part le bonheur de la personne aimée. La femme narcissique, dominatrice, possessive, peut réussir à être une mère « aimante » tant que son enfant est petit. Seule la femme qui aime vraiment, la femme qui est plus heureuse en donnant qu’en recevant, qui est fermement enracinée dans sa propre existence, peut être une mère aimante quand son enfant est dans la phase de séparation.

Comme dans l’amour érotique, le parent a besoin de faire une transition d’une forme d’amour à une autre – d’aimer son enfant parce qu’il lui appartient à aimer l’adulte en devenir pour la personne unique qu’elle est, pas seulement comme une fille ou un fils. »

Pourquoi la projection est si merveilleuse?

A propos de la projection, on se demande « Pourquoi tomber amoureux est-il une expérience « sommet«  si merveilleuse, alors qu’il s’agit tout simplement de l’illusion appelée projection ? ». C’est parce que la personne amoureuse accède à la plus profonde et plus pure part de sa nature. Le problème est qu’elle le situe à l’extérieur d’elle-même, alors qu’en fait cela se trouve à l’intérieur d’elle-même. L’erreur ne vient pas que l’aspect divin n’existe pas, mais d’où on le perçoit. Evidemment l’autre personne a aussi cette merveilleuse partie en elle ; le truc est que la personne amoureuse ne répond pas à cette part dans l’être aimé, mais en elle-même, seulement elle ne le sait pas.

Travailler une relation nécessite de retirer ce que nous avons projeté sur l’autre personne, de façon à commencer à la voir telle qu’elle est. Les conflits douloureux dans une relation intime servent à nous enseigner de quelle matière émotionnelle nous sommes faits. Krishnamurti a merveilleusement saisi cela :

La relation est le miroir dans lequel on se découvre soi-même. 

Puisque cela implique de retirer les projections, c’est-à-dire en savoir plus sur soi-même que nous ne le voudrions, beaucoup d’entre nous préfèrent quitter la relation. (Pour être juste envers Krishnamurti, je dois ajouter qu’il entend « relation » dans son sens le plus large, pas seulement les relations romantiques ou interpersonnelles.)

La Rochefoucauld parlait de la projection quand il écrivait : « Si l’on juge l’amour d’après la plupart de ses résultats, il ressemble davantage à la haine qu’à l’amitié. », tout comme Plautus, « Celui qui tombe amoureux rencontre un pire destin que celui qui tombe d’une falaise. » Au contraire, Andrew Law décrit l’amour plutôt que la projection quand il écrit : « L’amour est infaillible ; il ne fait pas d’erreurs, car toutes les erreurs sont un manque d’amour. » Le lecteur intéressé pourra voir lesquelles parmi les 15 citations initiales se réfèrent à la projection et lesquelles à l’amour véritable.

Etre amoureux

Après avoir effectué une étude, Elaine Walster a conclu que l’amour-passion ne dure pas plus de trois à douze mois dans une relation. Par amour-passion elle entend celui qui est accompagné de papillons dans l’estomac, d’une perte d’appétit, d’insomnie et d’une accélération des battements de cœur.

La psychologue Charlotte Kasl compare les symptômes de l’amour romantique à ceux du désordre maniaco-dépressif, « humeur changeante… distorsions de la réalité ». C’est difficile de ne pas qualifier l’état d’être amoureux de toxicomanie ou d’obsession. La différence est qu’être amoureux  est toujours soignable, par exemple par le mariage. Il semble indéniable que l’état d’être amoureux est toujours temporaire.

Pendant le stade « amoureux » nous n’exigeons rien de l’autre personne, et lui permettons d’être autonome. Nous acceptons et apprécions nos différences. Ensuite, au fur et à mesure que nos vies s’entremêlent, nous devenons exigeants, voulant que l’autre nous convienne. Les différences mêmes qui nous avaient attirés deviennent problématiques avec le stress de la vie normale. Ici, l’ego, le méchant de la pièce de la relation, entre en scène.

Qu’est-ce que faire l’expérience de “tomber amoureux” ? Fromm le décrit comme « l’effondrement explosif des barrières entre deux étrangers ». Ainsi l’extase qui accompagne l’expérience résulte d’une pseudo-union temporaire. « Pseudo » parce que c’est l’emboîtement de deux projections, pas la fusion des deux personnes. Par contraste, cesser d’être amoureux est le processus de retour des frontières de l’ego : on réalise que nos souhaits, nos besoins et notre rythme diffèrent de ceux de la personne aimée. Après un contact suffisant avec la réalité la projection s’est dissoute. A ce point nous avons l’opportunité de commencer à aimer dans un véritable sens. 

Qui est Madame/Monsieur Idéal ?

Il est bien connu que beaucoup de femmes ont des demandes contradictoires concernant un partenaire. Tandis qu’elles veulent une canaille pour le grand frisson, elles veulent aussi un « bon gars » fiable avec lequel elles se sentent en sécurité et dont elles peuvent dépendre. Une ambivalence similaire existe chez les hommes, qui ont inventé la dichotomie fictive de « la madone et la putain ».

Le professeur Mortley a pointé que le taux élevé de divorces dans les pays occidentaux est moins un symptôme de désillusion généralisée, que l’expression de notre idéalisme incroyable sur l’amour et le mariage. Persuadés que s’ils peuvent trouver la bonne personne ils vivront heureux pour toujours, beaucoup de gens se marient plusieurs fois.

Dr Candida Peterson suggère que contrairement à la croyance romantique que certaines personnes sont « faites l’une pour l’autre », le choix du partenaire peut être le facteur le moins important dans la décision de faire durer ou non une relation.

Le thérapeuthe familial Hugh Crago a analysé pourquoi les gens choisissent les partenaires qu’ils choisissent. A un niveau nous choisissons inconsciemment une personne dotée des qualités qui nous manquent. C’est ce qu’on appelle « l’attirance des contraires ». A un niveau plus profond, nous recherchons une personne qui nous ressemble : « Presque tous, avec une mystérieuse précision, nous semblons reconnaître et nous accrocher à des personnes qui sont notre égal ».

Une autre observation souvent faite à propos du choix d’un partenaire est que nous choisissons inconsciemment une personne avec le même caractère que notre père ou notre mère.

La jalousie

La jalousie dénote d’un manque d’amour (orientation). Si vous arrêtez une relation parce que l’autre personne a une liaison avec quelqu’un d’autre, vous admettez effectivement que vous n’aimiez pas la personne au départ. Vous placez les demandes de votre ego – fierté, possessivité, et sécurité – plus hautes que votre amour supposé. Vous ne pouvez vous sentir jaloux que si vous sentez que vous « avez » l’autre personne, que dans un sens, vous la possédez, ne serait-ce que sexuellement.

L’amour est inépuisable: il n’y a aucune raison qu’une femme ne puisse aimer son mari et son enfant, ou même cinq enfants. Ce qui est divisé c’est l’expression de l’amour, qui demande du temps et un don actif de soi-même. Je pense aussi qu’il est possible pour un homme d’aimer deux femmes, ou pour une femme d’aimer deux hommes. Bien que cela conduise à des problèmes.

Le pseudo-amour

Fromm a résumé l’amour immature comme : “Je t’aime parce que j’ai besoin de toi” et l’amour mature comme “J’ai besoin de toi parce que je t’aime.”

Il existe de nombreuses formes de pseudo-amour : l’engouement sexuel; la fierté de posséder; la fierté de création – y compris de créer des enfants ; la sympathie ; la peur de la solitude ; l’égoïsme à deux (élargissant l’unité égocentrique à deux personnes) ; le concept d’équipe du mariage ; aimer l’autre personne en s’identifiant à elle ; l’adoration à distance.

La dépendance est aussi souvent prise pour une forme d’amour. Scott Peck souligne que « Quand on a besoin d’un autre individu pour survivre, on est un parasite de cet individu. » Il définit la dépendance comme l’incapacité de se sentir complet et de fonctionner de façon adéquate sans la conviction qu’une autre personne s’occupe de vous. Aimer une autre personne de la façon dont on aime un animal de compagnie est une autre forme de pseudo-amour décrite par Peck. Il cite de nombreux cas de soldats américains ayant épousé des « fiancées de guerre » asiatiques. Ils ont vécu des mariages idylliques jusqu’à ce que leurs femmes apprennent l’anglais, et que les mariages commencent à se déliter : « Les soldats ne pouvaient plus projeter sur leurs femmes leurs propres pensées, sentiments, désirs, buts et ressentaient la même proximité qu’avec un animal de compagnie. » Cela s’applique aussi aux mères qui n’aiment leurs enfants que tant qu’ils sont petits.

La dévotion aveugle, envers un gourou, un maître, un dirigeant politique ou un mari dominateur, n’est pas non plus une véritable forme d’amour. La dévotion manque, au moins en partie, de connaissance, de savoir-recevoir et d’intimité. La dévotion est inégalitaire, reposant sur la subjugation qu’exerce l’être aimé sur celui qui aime. C’est fondamentalement unilatéral, impliquant de la projection et du culte. On sait aussi que l’admiration a un effet distanciateur. De plus, vous pouvez être dévoué à quelque chose que vous ne connaissez même pas. En fait, étant basée sur la projection, la dévotion repose sur l’ignorance. Ceux qui sont totalement dévoués à une personne vivante ou à une figure religieuse résistent de toutes leurs forces à trouver la vérité sur les faiblesses de leur objet d’adoration. La fureur autour de « La dernière tentation du Christ » illustre bien ce facteur. A mon avis il est possible d’être dévoué à dieu, mais pas de l’aimer, puisque dieu est l’inconnu ultime.

Peter Hoeg nous donne un indice sur la raison de l’amour passionnel qui se transforme en haine : « Au fond de chaque amour aveugle et absolu grandit la haine envers l’être aimé, qui détient maintenant la seule clef existante du bonheur de la personne qui l’aime. »

L’amour romantique est-il une dépendance ?

Relevée dans le “Sydney Morning Herald” du 13/10/2012, une citation de Ani Drolma, une nonne bouddhiste :

« Vous savez, l’amour romantique est une coutume très répandue, mais ce n’est pas quelque chose que j’aime pratiquer. Quand on y réfléchit avec attention, ce n’est alors qu’une addiction de plus – où l’on est dépendant d’une personne en particulier. « J’aime tellement cette personne que je ne peux pas la laisser partir ! ». Ce n’est pas exact. Si vous aimez quelqu’un d’un amour véritable, vous voulez simplement le meilleur pour cette personne, pas pour vous-même. Si vous souhaitez le meilleur pour lui/elle à la condition qu’il/elle vous rende heureux/se, il s’agit alors d’une affaire commerciale. Ce n’est pas le genre d’amour que l’on doit développer les uns pour les autres. Quelqu’un finira par souffrir, toujours. »

Je suis d’accord que l’amour romantique est une addiction, c’est-à-dire un besoin compulsif entraînant la dépendance. Pourquoi les addictions sont-elles mauvaises ? Je pense qu’il y a quatre raisons :

  • le comportement est intrinsèquement nocif, par exemple le tabagisme
  • cela a des conséquences destructrices, par exemple l’addiction au sexe
  • cela rétrécit votre vie et vous fait rater des choses précieuses, par exemple l’addiction à                                                                              la TV ou les jeux vidéo.
  •  on souffre énormément quand on est privé de la source de cette dépendance.

Dans le cas de l’amour romantique, le premier point ne s’applique pas. L’amour peut avoir des conséquences indésirables, particulièrement quand cela conduit à une jalousie maladive, à la possessivité ou à l’obsession. Cependant, ces effets ne sont pas systématiques. Quant à rater quelque chose de mieux, « mieux » existe-t-il ? Le vrai problème, c’est la perte – le divorce ou le deuil sont un désastre.

J’en conclue que l’amour romantique est une dépendance qui en vaut vraiment la peine.

Le sacrifice

Une autre mauvaise conception de l’amour vient probablement de l’époque de la chevalerie (à part dans les histoires d’amour hystériques, une telle époque a-t-elle jamais existé ?). Le seul vrai critère de l’amour pour une autre personne serait notre capacité à nous sacrifier pour elle. Un père qui travaille jour et nuit pour que ses enfants héritent de beaucoup d’argent fait peut-être un sacrifice, mais il les aimerait bien davantage s’il passait plus de temps avec eux.

Le sacrifice est peut-être une marque de dévouement, mais pas d’amour mature. L’amour mature tient compte des besoins des deux parties et les équilibre. Pourtant, bien sûr, si nous aimons quelqu’un nous lui exprimons notre affection en faisant des sacrifices pour l’autre personne quand il le faut. Autrement nous ne serions pas dans le don véritable. Le critère dépassé du sacrifice est basé sur le fait que nous plaçons l’autre personne avant nous-mêmes, sur le déni de soi, et finalement sur l’auto-abnégation. Peck a écrit : « C’est vrai que l’amour implique un changement à l’intérieur de soi, mais c’est une extension de soi-même plutôt qu’un sacrifice de soi-même… cela nous remplit plutôt que cela nous réduit. » (Notez que cela contredit directement Krishnamurti. Les deux hommes explorent l’amour à des niveaux différents.)

Croire que se sacrifier soit le bien le plus haut équivaut à se rabaisser soi-même. Au mieux, l’élévation du sacrifice en tant que valeur est une compensation pour l’égoïsme naturel que nous dissimulons tous. Alors que le remède contre l’égoïsme est l’amour de soi, pas le déni de soi.

L’amour de soi

Il est maintenant largement reconnu que nous ne pouvons aimer les autres que si nous nous aimons nous-mêmes. L’amour de soi ne doit pas être confondu avec le narcissisme, la suffisance ou l’égotisme. Ces attitudes sont en fait des défenses qui naissent d’un manque d’amour de soi. L’amour de soi inclue de s’accepter soi-même (ce qui implique de se pardonner), de se valoriser, de s’occuper de soi, d’être responsable pour soi-même, ainsi que la connaissance de soi et le respect de soi. L’égoïsme est le contraire de l’amour de soi. En fait les personnes égoïstes se détestent. Fromm résume ainsi la personne égoïste : « Elle est nécessairement malheureuse et s’acharne à tirer de la vie les satisfactions qu’elle s’empêche elle-même d’atteindre. »

Il est absurde de dire “Aimez les autres, mais ne vous aimez pas vous-mêmes » Pourquoi seriez-vous le seul être humain qui ne mérite pas votre amour ? Puisque toutes les personnes ont une valeur égale c’est illogique de placer quelqu’un avant vous-même.

Amanda Vallis a écrit :

Si nous méprisons les attributs que nous voyons en nous-mêmes il s’ensuit que nous méprisons ces mêmes attributs chez les autres, ce qui nous empêche d’aimer et d’accepter les gens comme ils sont. Si nous recherchons, trouvons et aimons les belles qualités que nous voyons en nous-mêmes nous pouvons alors faire la même chose avec les autres personnes.

Créer l’amour de soi

Comment pouvons-nous travailler sur l’amour de soi ? Comme pour l’amour pour les autres, nous pouvons agir de façons qui renforcent notre amour pour nous-mêmes. De tels actes génèrent aussi le sentiment d’amour pour nous-mêmes. S’aimer soi-même requiert de s’accepter, c’est-à-dire ne juger aucune de nos émotions, incluant des émotions inconfortables comme la sentimentalité, l’envie, la convoitise, la haine et la colère. S’accepter soi-même requiert l’élimination de la culpabilité. Une façon de le faire est de se pardonner pour notre passé. S’aimer soi-même implique de se comporter d’une manière qui valorise notre temps, notre amitié, notre sexualité, et notre individualité. Cela inclue de s’occuper activement de nos besoins dans les domaines de notre vie, comme la santé, le développement personnel et professionnel, l’éducation, se faire des amis, les relations amoureuses, la créativité, la liberté, donner du sens et se faire plaisir. S’occuper de soi-même signifie aussi faire ce qu’il faut pour être responsable pour soi-même, plutôt que de blâmer les autres ou les circonstances pour nos problèmes. Une façon d’encourager le respect de soi et l’amour de soi est de tenir les engagements (ou les résolutions) que nous prenons avec nous-mêmes. Pour s’aimer soi-même nous avons besoin de nous connaître, surtout nos besoins profonds. Enfin, nous avons besoin de cultiver le respect de soi en écoutant et en valorisant nos sentiments et notre dialogue intérieur.

L’amour et le conflit

Fromm signale une erreur répandue à propos de l’amour :

L’illusion que l’amour signifie nécessairement l’absence de conflit. Tout comme il est habituel pour les gens de croire que la douleur et la tristesse devraient être évitées dans tous les cas, ils croient que l’amour signifie l’absence de tout conflit. Et ils trouvent de bonnes raisons pour cette idée dans le fait que les conflits autour d’eux semblent n’être que des interactions destructrices qui n’apportent aucun bien à aucune des personnes concernées. Mais la raison en est que les « conflits » de la plupart des gens sont en fait des tentatives pour éviter le vrai conflit. Ce sont des désaccords sur des sujets mineurs ou superficiels qui par leur nature même ne peuvent être clarifiés ou solutionnés. Les vrais conflits entre deux personnes, ceux qui ne servent pas à recouvrir ou à projeter, mais qui sont vécus au niveau le plus profond de leur réalité intérieure, ne sont pas destructeurs. Ils conduisent à la clarification, ils produisent une catharsis dont les deux personnes ressortent avec plus de connaissance et plus de force.    

Pensées finales

Aimer est la plus haute expression de la capacité humaine, tout comme donner est la plus grande expression de la puissance humaine. Fromm a fait l’observation fondamentale que l’amour « est la seule réponse saine et satisfaisante à la problématique de l’existence humaine. » Il remarque aussi qu’aimer quelqu’un signifie que l’autre personne cesse d’être un objet.

Victor Frankl a écrit:

L’amour est l’unique moyen de saisir le coeur intérieur d’un autre être humain. Personne ne peut connaître l’essence même d’un autre être humain sans l’aimer. L’amour permet de voir les traits essentiels de la personne aimée ; et même de voir ses potentialités, qui ne sont pas encore révélées mais qui doivent l’être. 

L’affirmation superficiellement fausse « Tu es amour » signifie que votre nature la plus essentielle est la faculté ou le potentiel d’aimer. Cette faculté est toujours présente, qu’on l’exerce ou non. Aimer une autre personne c’est trouver un centre d’intérêt pour votre faculté d’aimer, de manifester ce qui est déjà en vous. Comme le dit Vincent Van Gogh :

Il y a la même différence entre une personne avant et après qu’elle est amoureuse qu’entre une lampe éteinte et une qui est allumée. La lampe était là et était une bonne lampe, mais maintenant elle éclaire en plus et c’est sa vraie fonction.

De mon point de vue « L’art d’aimer » d’Erich Fromm, que j’ai librement cité, est de loin le meilleur traitement du sujet de l’amour. Comme mon professeur préféré le disait à la classe : « Lisez-le avant de mourir. »

Je suis impressionné que le critère de Fromm soit la caractérisation la plus précise de l’amour érotique : que j’aime du plus profond de mon être et que je connaisse l’autre personne au plus profond de son être.

Jean-Louis Lamouille est psychologue du travail à Grenoble / Isère.
Il intervient sur toute la région Rhône Alpes en entreprise (Diagnostic social) pour la qualité de vie au travail, la prévention du burn-out, les risques psycho-sociaux.
Il pratique la sophrologie, la Gestalt-thérapie et la médiation.