Peur, anxiété angoisse

La peur a une certaine connaissance de sa cause, elle peut la définir, elle ne lui est pas totalement étrangère (la rencontre d’une araignée, chuter d’une grande hauteur…). Nous pouvons nous la représenter, la nommer et imaginer des moyens de s’en protéger.

L’anxiété met notre corps sous la tentions de la peur (muscles contractés, souffle coupé, hypervigilance sensorielle et cognitive) dans la seule idée d’un possible danger à venir. C’est une peur anticipatoire.

L’angoisse nous situe d’emblée dans une autre expérience : son objet échappe à toute représentation.

La mort est l’étrangeté absolue…On ne peut pas savoir. Si c’est pour disparaitre, la vie n’a pas de sens. L’esprit s’y brise, impuissant, et pressent sans se l’avouer la vacuité des représentations dans le fouillis des pensées philosophiques ou religieuses. L’angoisse est un vertige existentiel suscité par l’absence de représentations assurées. « –Le voilà immobile, noué au milieu de l’espace vide, cloué vif, dans le halètement et le hurlement muet, cloué sur le poteau de l’angoisse…c’est la vacuité du monde, c’est la grande vidange de tout. » (Maurice Bellet)

L’excès d’émotions suscitées dans la rencontre avec l’inconnu radical affecte notre aptitude fondamentale au sens. Comme si un étai s’effondrait et entraînait dans sa chute l’étayage lui-même. Le choc entraîne dans son sillage la capacité de se reconnaître, de reconnaître son corps, les autres, le monde…

L’homme cherche sans cesse à éviter la souffrance qui accompagne l’angoisse. Alors quelle est porteuse de la promesse d’accomplissement.

Heidegger a dit de l’angoisse qu’elle est une révélation de l’être. C’est l’expérience fondamentale dans laquelle l’homme peut appréhender le sens de son existence dans le monde et face au néant. La lumière ne peut prendre sa forme qu’en présence de l’ombre, il faut le contraste de la mort pour renforcer le sens de la vie, la maladie pour apprécier la santé, le contraste de la souffrance pour donner sens à la paisibilité.

Il n’est pas possible de faire l’économie, à un moment ou à un autre de cette confrontation à l’angoisse. Il ne s’agit pas de dépasser cette angoisse, il s’agit de la vivre.

Jules Romain l’illustre avec poésie son plein contacte avec l’angoisse : «- La santé est un état précaire qui ne laisse présager rien de bon ». « -Le temps passe. Et chaque fois qu’il y a du temps qui passe, il y a quelque chose qui s’efface ».

Ce que le sujet vit aujourd’hui résulte d’orientations prisent par le passé, et basées sur des croyances qui ne sont plus ajustées à sa vie d’aujourd’hui.  Lorsque le mythe s’effondre, le projet d’avenir n’est plus plausible.
Dans l’accompagnement psychothérapeutique « La crainte clinique de l’effondrement est la crainte d’un effondrement qui a été déjà éprouvé (….) et il y a des moments où un patient a besoin qu’on lui dise que l’effondrement dont la crainte mine sa vie a déjà eu lieu. Ici, il faut se demander pourquoi le patient continue d’être tourmenté par ce qui appartient au passé. » (D.W. Winnicott, Explorations conceptuelles, La crainte de l’effondrement et autres situations cliniques, nrf, Editions Gallimard, 2001, p. 209-210.)

Pour Irwin Yalom, les phobies, les dépendances sont souvent les paravents conscients d’une angoisse verrouillée depuis longtemps. « La mort de l’autre nous confronte à notre propre mort. Est-ce une bonne chose ? Une telle confrontation doit-elle être encouragée ? Question : pourquoi gratter là où ça ne démange pas ? Réponse : Parce que la confrontation avec sa propre mort peut entraîner des changements personnels positifs ».

« – Il se pourrait, en effet, que les transformations les plus dramatiques de l’identité personnelle dussent traverser l’épreuve de ce néant de l’identité… Maints récits de conversion portent témoignage de telles nuits de l’identité personnelle. En ces moments de dépouillement extrême, la réponse nulle à la question « qui suis-je ? » renvoie, non point à la nullité, mais à la nudité de la question elle-même. » (Paul RICOEUR).

Pour Karlfried Graf Dürckheim : « -L’angoisse apparaît quand la personne se sent éloignée d’elle-même, de son désir de vie, qu’elle est dans l’oubli de son noyau le plus intime » « Il existe trois détresses fondamentales de l’existence humaine : la peur de l’anéantissement, le désespoir devant l’absurde et la tristesse face à la solitude ».

Angoisse, impuissance et révolte minent irréductiblement les assises spontanées de nos vies, mais elles ne sont pas pour autant insensées. Elles balisent un chemin, un chemin de vérité sur soi-même. L’épreuve peut se révéler libératrice. Car l’angoisse de la mort signe souvent le vide de notre présent. L’homme se projette d’autant plus dans le futur et le passé que son présent n’est pas approprié à ses besoins fondamentaux. Les épreuves que nous traversons obligent au réajustement : revenir la richesse du présent, de nos émotions corporelles et notre capacité d’émerveillement.

Nous n’atteindrons jamais à notre totalité si nous n’endossons pas les obscurités qui sont en nous : car il n’est de corps qui dans sa totalité ne jette une ombre.

L’angoisse nous apprend que le monde, autrui, soi-même ne vont pas de soi. Ils supposent un travail silencieux, secret, celui d’un jaillissement originaire et donateur de sens. Sens par lequel chacun d’eux nous est « présenté ». L’angoisse nous invite à construire la véritable conscience de nous-même à travers le monde que nous élaborons. En construisant notre authentique tissu de représentations nous faisons « être » le monde, et nous nous faisons « être » nous-même. Ainsi l’effondrement des représentations provoqué par un événement inattendu et radical est il porteur de la promesse d’un éveil.
Accueillir nos angoisses permet ce jaillissement donateur de sens qui constituent l’homme dans son essence la plus intime.

Sentiment d’impuissance Le présent ne vaut que par le futur qui lui donne son sens.

Faisant retour sur les événements, nous oublions les choix possibles ; seul reste en mémoire le choix qui fut pris. Dans la mémoire, le caractère incertain de l’histoire disparaît derrière cette reconstruction mentale qui oublie la pluralité des possibles dont était lourd le présent de la décision ancienne. Cela vaut aussi pour l’avenir (que nous projetons avec l’horizon du présent) et qui peut paraitre prédéterminé, étranger à toute liberté. Dans l’angoisse, le présent privé d’avenir devient intolérable, révoltant. L’instant d’après semble inaccessible, insoutenable… A quoi bon !
Sans conscience des autres choix que j’aurais pu faire, ni capacité d’élaboration des avenirs possibles, le sujet projette sur son environnement ce qu’il éprouve intérieurement : désolation et chaos. Frustration, incompréhension, colère et désespoir nous submergent sous le coup de l’annonce d’une fin. (Echec à un examen, rupture amoureuse, licenciement, décès…).
Le choc de l’événement a fait éclater le passé et dissout l’avenir.

Pourtant, la vie est là et bien là, tant que nous vivons.

Besoin de contrôle tolérance à l’incertitude.

Notre culture de toute puissance ne constitue-t-elle pas contre l’angoisse qu’une défense illusoire et fragile, qui s’effondre sous le choc.

La richesse du présent nous est devenue étrangère, car notre culture nous situe dans le faire, qui suppose un contrôle de l’avenir. L’avenir prend les traits rigoureux d’un projet défini et d’une méthode impérativement maitrisée.

L’angoisse est ainsi révélatrice d’une culture marquée du sceau de la toute-puissance.

Peut-on accepter l’impuissance pour libérer notre créativité ? Comme l’artiste qui ne sait pas à l’avance quels seront les traits du visage qu’il dessine. Le tableau jaillit du pinceau à l’instant même. Au terme, l’artiste s’étonne lui-même de son œuvre.

La fin n’est pas nécessairement une épreuve angoissante. Elle peut être acceptée sereinement, comme en témoignent ces personnes âgées qui désirent rejoindre dans la mort ceux qu’elles ont aimées. La fin peut être vécue comme une étape.

Cette approche ouvre une autre manière d’être : la pleine acceptation de ce qui nous échappe. Elles nous renvoient ainsi à accueillir nos limites. On n’est maître ni de sa naissance, ni du moment de sa mort. On ne fabrique ni l’une ni l’autre, on les reçoit comme un don de Dieu. Face à notre impuissance, peut-on ouvrir l’espace non d’un faire, mais de l’être. ? Comme un silence d’où surgit une parole à recevoir.

Si la maîtrise se conjugue avec le sentiment de puissance, alors la dé-maîtrise passe par la pleine acceptation de notre vulnérabilité, faisant ainsi renaitre notre capacité à donner sens à ce que nous ne maitrisons pas. La démarche ne peut être que tâtonnante, à l’image du mystique qui s’approche de l’insaisissable, de l’artiste qui ne sait pas à l’avance les traits de son œuvre. Non le champ du projet maitrisé, mais le jaillissement présent d’une parole qui vient on ne sait d’où. Parole qui tisse la trame d’un récit.

Sortir de l’angoisse.

’Ce n’était pas la vision obscure d’autrefois, c’est une vision éclatante. Et il voit qu’il voit. Non qu’il réfléchisse, qu’il s’examine au miroir. Pas du tout. Aucune distance. Il est dedans, il est dans ce regard qu’il donne à toutes choses, et son regard est doucement pris et aimé par cet éveil des choses, où l’être s’illumine tout entier – car la lampe du corps, c’est l’œil. Il voit ce qu’il a toujours vu… Et pourtant ce qu’il voit, c’est l’envers lumineux du monde. A moins que ce ne soit l’endroit, et que notre regard ordinaire ne voie que l’envers de la tapisserie, confus et laid. De l’autre côté, de l’autre côté est la merveille’’(Maurice Bellet, « Les Allées du Luxembourg »).

Nous pourrions passer notre vie dans la zone grise des conventions qui réduisent l’expression et la pleine expérience de nous-même. Et, lorsque l’ombre est trop forte, ou qu’elle dure depuis trop longtemps, soudainement tout devient d’un noir d’encre.  L’angoisse ne nous laisse plus d’autre choix que de redonner sens à la vie. L’enrichissement de la conscience, dans le travail du développement personnel, permet que l’angoisse laisse place, sans savoir pourquoi ni comment, à une nouvelle manière d’être. La technique se fait discrète, le « faire » laisse place au surgissement mystérieux de « l’ être », dans un « oui » grave et paisible. Le présent se suffit à lui-même. Le sujet cesse d’être mu par le devoir de la réussite et la menace de l’échec. Le présent ne se justifie plus obligatoirement d’un avenir possible. Le plaisir redevient un motif suffisant.

Il convient de réviser la mémoire du passé sous l’éclairage d’un l’élargissement de la diversité des possibles (imperceptibles alors). Dans la parole qui élabore l’histoire du sujet, la source originelle de sens qui le constitue rejaillit comme un don inattendu et impalpable et peut permettre de requestionner la véracité des injonction (éducatives et sociales) devenues introjections alors qu’elles ne sont pas le reflet de nos besoins intimes. Par le récit, et la conscience des besoins existentiels d’autres chemins possibles s’ouvrent, la personne redevient créatrice d’elle-même. Elle réinvestit sa capacité à reconstruire des projets dans le champ ouvert, car intégratif (en pleine conscience) de l’incertain du monde et de ses propres limites. L’accueil de sa vulnérabilité et de son impuissance permet de redonner corps à l’élan du désir, au plus proche de sa singularité et dans la pleine acceptation des contraintes environnementales. Un élan qui s’enracine dans l’innocence de notre vitalité, dans la ressource de nos désirs intime, de notre pulsion de vie d’enfant. S’autoriser une distance « sage et sereine » aux représentations limitantes véhiculées par les représentations sociales et culturelles. Ecrire SON histoire au fur et à mesure qu’elle survient. L’acceptation de notre angoisse nous permet de quitter le projet de vie pour simplement vivre. Nourrir l’audace de vivre plus pleinement l’expérience mystérieuse d’accomplir SON chemin.

L’accompagnement en Gestalt-thérapie me semble être parfaitement approprié à ce chemin vers l’être, sans autre finalité. Il est décrit avec justesse et poésie dans les lignes ci-dessous par Frédéric Brissaud, dans son livre ‘’Eclairer l’Existence et Cultiver la Croissance’’. Edition La Pensée Vagabonde.

« -Dans un paysage tranquille et sans signe avant-coureur aucun, le sol qui semblait uniformément ferme se déroba soudain sous ses pieds, décou­vrant un gouffre béant, sans fond, sinistre, glacial. Un bref instant, il se sen­tit suspendu au-dessus du vide de cette béance. 

II se rappela avoir déjà rencontré cet effondrement inattendu du sol fa­milier a deux ou trois occasions. Chaque fois ses réflexes habituels de survie lui avaient permis de se raccrocher à quelques aspérités du bord, de se battre contre l’irrésistible pesanteur et, dans une frayeur mémorable, d’évi­ter la chute. Chaque fois plus marqué par I ‘expérience, il avait tenté d’être plus vigilant et de déceler ce gouffre imprévisible. II s’était renforcé aussi, en prévision d’un éventuel effondrement avenir. 

Et la béance était là, à nouveau. Dans ce bref instant de perte d’appui, la lassitude prit cette fois le pas sur le reflexe, ii accepta la terreur. A quoi bon se battre ? A quoi bon ressortir pour y retomber, demain ou plus tard ? 

II en avait maintenant la certitude, ce gouffre avait toujours été là, même avant sa découverte, et il constituerait toute sa vie, une menace invisible, à quoi bon essayer d’être plus fort à chaque fois ? Pour n’être, au final, que plus inquiet et plus tendu. Il n’y croyait plus et se sentait tellement las. 

Dans cette fraction de seconde, il perçut une présence sur le bord du gouffre. Il croisa son regard et y lit : « C’est à toi de décider d’y aller ou non. C’est TON chemin, Je ne peux pas le faire à ta place. Je ne peux pas non plus t’assurer de son issue. Quel que soit ton choix, je serai là, à tes côtés ». Sans beaucoup réfléchir, plus par lassitude que par foi, il décida d’abandonner et accepta d’être submergé par la peur, d’être envahi par la terreur. Il ac­cepta la chute dans ce noir profond, sans fond. Il consentit à l’inconnu et à linsupportable, dont le simple affleurement les fois précédentes l’avait fait réagir, se débattre et reprendre pied sur le sol. 

Et Il tomba… l’angoisse et la panique l’accompagnant. La luminosité s’était rapidement affaiblie pour faire place à la nuit. Sans repères visibles, lui restait seulement la sensation de tomber, longtemps… des heures, des Jours, des semaines, des mois…sans fin 

Après longtemps de larmes, de douleurs, de désespoir, de solitude, de chute, l’envie d’en finir, Il était presque décidé à jeter l’éponge quand il en­tendit : « Bien entendu renoncer est un chemin possible, mais certains pen­sent que refuser l’épreuve conduit à traverser à nouveau la même épreuve plus tard ». Après un temps de réflexion, l’Idée lui plut : à quoi bon faire à nouveau tout ce chemin pour arriver au même endroit ? Il s’assit, recroque­villé, et attendit… La chute se poursuivit ; mais quelque chose avait changé, peut-être s’étaitelle ralentie… 

Petit à petit Il sentit quelque chose prendre forme sous ses pieds… Un semblant de fermeté, petit à petit plus dense, la sensation d’un fond prenait consistance dans ce noir persistant. Il se risqua à lentement dépiler les bras et sentit quelque chose, une paroi dure, Dans ce noir sans relief, cette paroi le rendit curieux, Il entreprit de se lever et d’avancer à tâtons. Au terme de son exploration, il conçut que cet espace de la taille d’une pièce, clos, était le fond du trou. Mais aucune Issue ne s’ouvrait, aucune aspérité ne laissait espérer la possibilité d’une remontée…et, vers le haut, aucune trace d’espace et du ciel qu’il avait laissé en tombant.

Il s’assit et attendit. Etrangement, bien que seul, il sentait moins la solitude. Il n’était plus angoissé, il n’espérait plus une issue, mais il n’était pas désespéré non plus. C’était un état étrange, inconnu, nouveau. Il attendit encore, explorant parfois à nouveau ce fond, sans nouvelle découverte. Petit à petit, il commença à discerner quelques éléments de cet espace. Puis d’autre plus nombreux, lui donnant du relief. Dans la pénombre, ce fond lui était maintenant devenu totalement visible…un autre changement s’amorça.

Tout aussi progressivement, les murs commencèrent à s’estomper…

Après un temps, il se trouva sur le même sol, sous le même ciel que ceux qu’il avait quittés en perdant pied, sans trace des murs. Il entendit : « Bienvenu ! » Il se tourna et reconnu, à quelques pas, la présence entrevue à l’orée du gouffre, longtemps auparavant : « Quel chemin… ! » Il acquiesça.

Il était intimement convaincu que désormais plus aucune béance n’était tapie quelque part, invisible et menaçante.

L’évidence de sa survie lui étant établie…Il lui restait à vivre. »

Jean-Louis Lamouille est psychologue du travail à Grenoble / Isère.
Il intervient sur toute la région Rhône Alpes en entreprise (Diagnostic social) pour la qualité de vie au travail, la prévention du burn-out, les risques psycho-sociaux.
Il pratique la sophrologie, la Gestalt-thérapie et la médiation.

Peur, anxiété angoisse

La peur a une certaine connaissance de sa cause, elle peut la définir, elle ne lui est pas totalement étrangère (la rencontre d’une araignée, chuter d’une grande hauteur…). Nous pouvons nous la représenter, la nommer et imaginer des moyens de s’en protéger.

L’anxiété met notre corps sous la tentions de la peur (muscles contractés, souffle coupé, hypervigilance sensorielle et cognitive) dans la seule idée d’un possible danger à venir. C’est une peur anticipatoire.

L’angoisse nous situe d’emblée dans une autre expérience : son objet échappe à toute représentation.

La mort est l’étrangeté absolue…On ne peut pas savoir. Si c’est pour disparaitre, la vie n’a pas de sens. L’esprit s’y brise, impuissant, et pressent sans se l’avouer la vacuité des représentations dans le fouillis des pensées philosophiques ou religieuses. L’angoisse est un vertige existentiel suscité par l’absence de représentations assurées. « –Le voilà immobile, noué au milieu de l’espace vide, cloué vif, dans le halètement et le hurlement muet, cloué sur le poteau de l’angoisse…c’est la vacuité du monde, c’est la grande vidange de tout. » (Maurice Bellet)

L’excès d’émotions suscitées dans la rencontre avec l’inconnu radical affecte notre aptitude fondamentale au sens. Comme si un étai s’effondrait et entraînait dans sa chute l’étayage lui-même. Le choc entraîne dans son sillage la capacité de se reconnaître, de reconnaître son corps, les autres, le monde…

L’homme cherche sans cesse à éviter la souffrance qui accompagne l’angoisse. Alors quelle est porteuse de la promesse d’accomplissement.

Heidegger a dit de l’angoisse qu’elle est une révélation de l’être. C’est l’expérience fondamentale dans laquelle l’homme peut appréhender le sens de son existence dans le monde et face au néant. La lumière ne peut prendre sa forme qu’en présence de l’ombre, il faut le contraste de la mort pour renforcer le sens de la vie, la maladie pour apprécier la santé, le contraste de la souffrance pour donner sens à la paisibilité.

Il n’est pas possible de faire l’économie, à un moment ou à un autre de cette confrontation à l’angoisse. Il ne s’agit pas de dépasser cette angoisse, il s’agit de la vivre.

Jules Romain l’illustre avec poésie son plein contacte avec l’angoisse : «- La santé est un état précaire qui ne laisse présager rien de bon ». « -Le temps passe. Et chaque fois qu’il y a du temps qui passe, il y a quelque chose qui s’efface ».

Ce que le sujet vit aujourd’hui résulte d’orientations prisent par le passé, et basées sur des croyances qui ne sont plus ajustées à sa vie d’aujourd’hui.  Lorsque le mythe s’effondre, le projet d’avenir n’est plus plausible.
Dans l’accompagnement psychothérapeutique « La crainte clinique de l’effondrement est la crainte d’un effondrement qui a été déjà éprouvé (….) et il y a des moments où un patient a besoin qu’on lui dise que l’effondrement dont la crainte mine sa vie a déjà eu lieu. Ici, il faut se demander pourquoi le patient continue d’être tourmenté par ce qui appartient au passé. » (D.W. Winnicott, Explorations conceptuelles, La crainte de l’effondrement et autres situations cliniques, nrf, Editions Gallimard, 2001, p. 209-210.)

Pour Irwin Yalom, les phobies, les dépendances sont souvent les paravents conscients d’une angoisse verrouillée depuis longtemps. « La mort de l’autre nous confronte à notre propre mort. Est-ce une bonne chose ? Une telle confrontation doit-elle être encouragée ? Question : pourquoi gratter là où ça ne démange pas ? Réponse : Parce que la confrontation avec sa propre mort peut entraîner des changements personnels positifs ».

« – Il se pourrait, en effet, que les transformations les plus dramatiques de l’identité personnelle dussent traverser l’épreuve de ce néant de l’identité… Maints récits de conversion portent témoignage de telles nuits de l’identité personnelle. En ces moments de dépouillement extrême, la réponse nulle à la question « qui suis-je ? » renvoie, non point à la nullité, mais à la nudité de la question elle-même. » (Paul RICOEUR).

Pour Karlfried Graf Dürckheim : « -L’angoisse apparaît quand la personne se sent éloignée d’elle-même, de son désir de vie, qu’elle est dans l’oubli de son noyau le plus intime » « Il existe trois détresses fondamentales de l’existence humaine : la peur de l’anéantissement, le désespoir devant l’absurde et la tristesse face à la solitude ».

Angoisse, impuissance et révolte minent irréductiblement les assises spontanées de nos vies, mais elles ne sont pas pour autant insensées. Elles balisent un chemin, un chemin de vérité sur soi-même. L’épreuve peut se révéler libératrice. Car l’angoisse de la mort signe souvent le vide de notre présent. L’homme se projette d’autant plus dans le futur et le passé que son présent n’est pas approprié à ses besoins fondamentaux. Les épreuves que nous traversons obligent au réajustement : revenir la richesse du présent, de nos émotions corporelles et notre capacité d’émerveillement.

Nous n’atteindrons jamais à notre totalité si nous n’endossons pas les obscurités qui sont en nous : car il n’est de corps qui dans sa totalité ne jette une ombre.

L’angoisse nous apprend que le monde, autrui, soi-même ne vont pas de soi. Ils supposent un travail silencieux, secret, celui d’un jaillissement originaire et donateur de sens. Sens par lequel chacun d’eux nous est « présenté ». L’angoisse nous invite à construire la véritable conscience de nous-même à travers le monde que nous élaborons. En construisant notre authentique tissu de représentations nous faisons « être » le monde, et nous nous faisons « être » nous-même. Ainsi l’effondrement des représentations provoqué par un événement inattendu et radical est il porteur de la promesse d’un éveil.
Accueillir nos angoisses permet ce jaillissement donateur de sens qui constituent l’homme dans son essence la plus intime.

Sentiment d’impuissance Le présent ne vaut que par le futur qui lui donne son sens.

Faisant retour sur les événements, nous oublions les choix possibles ; seul reste en mémoire le choix qui fut pris. Dans la mémoire, le caractère incertain de l’histoire disparaît derrière cette reconstruction mentale qui oublie la pluralité des possibles dont était lourd le présent de la décision ancienne. Cela vaut aussi pour l’avenir (que nous projetons avec l’horizon du présent) et qui peut paraitre prédéterminé, étranger à toute liberté. Dans l’angoisse, le présent privé d’avenir devient intolérable, révoltant. L’instant d’après semble inaccessible, insoutenable… A quoi bon !
Sans conscience des autres choix que j’aurais pu faire, ni capacité d’élaboration des avenirs possibles, le sujet projette sur son environnement ce qu’il éprouve intérieurement : désolation et chaos. Frustration, incompréhension, colère et désespoir nous submergent sous le coup de l’annonce d’une fin. (Echec à un examen, rupture amoureuse, licenciement, décès…).
Le choc de l’événement a fait éclater le passé et dissout l’avenir.

Pourtant, la vie est là et bien là, tant que nous vivons.

Besoin de contrôle tolérance à l’incertitude.

Notre culture de toute puissance ne constitue-t-elle pas contre l’angoisse qu’une défense illusoire et fragile, qui s’effondre sous le choc.

La richesse du présent nous est devenue étrangère, car notre culture nous situe dans le faire, qui suppose un contrôle de l’avenir. L’avenir prend les traits rigoureux d’un projet défini et d’une méthode impérativement maitrisée.

L’angoisse est ainsi révélatrice d’une culture marquée du sceau de la toute-puissance.

Peut-on accepter l’impuissance pour libérer notre créativité ? Comme l’artiste qui ne sait pas à l’avance quels seront les traits du visage qu’il dessine. Le tableau jaillit du pinceau à l’instant même. Au terme, l’artiste s’étonne lui-même de son œuvre.

La fin n’est pas nécessairement une épreuve angoissante. Elle peut être acceptée sereinement, comme en témoignent ces personnes âgées qui désirent rejoindre dans la mort ceux qu’elles ont aimées. La fin peut être vécue comme une étape.

Cette approche ouvre une autre manière d’être : la pleine acceptation de ce qui nous échappe. Elles nous renvoient ainsi à accueillir nos limites. On n’est maître ni de sa naissance, ni du moment de sa mort. On ne fabrique ni l’une ni l’autre, on les reçoit comme un don de Dieu. Face à notre impuissance, peut-on ouvrir l’espace non d’un faire, mais de l’être. ? Comme un silence d’où surgit une parole à recevoir.

Si la maîtrise se conjugue avec le sentiment de puissance, alors la dé-maîtrise passe par la pleine acceptation de notre vulnérabilité, faisant ainsi renaitre notre capacité à donner sens à ce que nous ne maitrisons pas. La démarche ne peut être que tâtonnante, à l’image du mystique qui s’approche de l’insaisissable, de l’artiste qui ne sait pas à l’avance les traits de son œuvre. Non le champ du projet maitrisé, mais le jaillissement présent d’une parole qui vient on ne sait d’où. Parole qui tisse la trame d’un récit.

Sortir de l’angoisse.

’Ce n’était pas la vision obscure d’autrefois, c’est une vision éclatante. Et il voit qu’il voit. Non qu’il réfléchisse, qu’il s’examine au miroir. Pas du tout. Aucune distance. Il est dedans, il est dans ce regard qu’il donne à toutes choses, et son regard est doucement pris et aimé par cet éveil des choses, où l’être s’illumine tout entier – car la lampe du corps, c’est l’œil. Il voit ce qu’il a toujours vu… Et pourtant ce qu’il voit, c’est l’envers lumineux du monde. A moins que ce ne soit l’endroit, et que notre regard ordinaire ne voie que l’envers de la tapisserie, confus et laid. De l’autre côté, de l’autre côté est la merveille’’(Maurice Bellet, « Les Allées du Luxembourg »).

Nous pourrions passer notre vie dans la zone grise des conventions qui réduisent l’expression et la pleine expérience de nous-même. Et, lorsque l’ombre est trop forte, ou qu’elle dure depuis trop longtemps, soudainement tout devient d’un noir d’encre.  L’angoisse ne nous laisse plus d’autre choix que de redonner sens à la vie. L’enrichissement de la conscience, dans le travail du développement personnel, permet que l’angoisse laisse place, sans savoir pourquoi ni comment, à une nouvelle manière d’être. La technique se fait discrète, le « faire » laisse place au surgissement mystérieux de « l’ être », dans un « oui » grave et paisible. Le présent se suffit à lui-même. Le sujet cesse d’être mu par le devoir de la réussite et la menace de l’échec. Le présent ne se justifie plus obligatoirement d’un avenir possible. Le plaisir redevient un motif suffisant.

Il convient de réviser la mémoire du passé sous l’éclairage d’un l’élargissement de la diversité des possibles (imperceptibles alors). Dans la parole qui élabore l’histoire du sujet, la source originelle de sens qui le constitue rejaillit comme un don inattendu et impalpable et peut permettre de requestionner la véracité des injonction (éducatives et sociales) devenues introjections alors qu’elles ne sont pas le reflet de nos besoins intimes. Par le récit, et la conscience des besoins existentiels d’autres chemins possibles s’ouvrent, la personne redevient créatrice d’elle-même. Elle réinvestit sa capacité à reconstruire des projets dans le champ ouvert, car intégratif (en pleine conscience) de l’incertain du monde et de ses propres limites. L’accueil de sa vulnérabilité et de son impuissance permet de redonner corps à l’élan du désir, au plus proche de sa singularité et dans la pleine acceptation des contraintes environnementales. Un élan qui s’enracine dans l’innocence de notre vitalité, dans la ressource de nos désirs intime, de notre pulsion de vie d’enfant. S’autoriser une distance « sage et sereine » aux représentations limitantes véhiculées par les représentations sociales et culturelles. Ecrire SON histoire au fur et à mesure qu’elle survient. L’acceptation de notre angoisse nous permet de quitter le projet de vie pour simplement vivre. Nourrir l’audace de vivre plus pleinement l’expérience mystérieuse d’accomplir SON chemin.

L’accompagnement en Gestalt-thérapie me semble être parfaitement approprié à ce chemin vers l’être, sans autre finalité. Il est décrit avec justesse et poésie dans les lignes ci-dessous par Frédéric Brissaud, dans son livre ‘’Eclairer l’Existence et Cultiver la Croissance’’. Edition La Pensée Vagabonde.

« -Dans un paysage tranquille et sans signe avant-coureur aucun, le sol qui semblait uniformément ferme se déroba soudain sous ses pieds, décou­vrant un gouffre béant, sans fond, sinistre, glacial. Un bref instant, il se sen­tit suspendu au-dessus du vide de cette béance. 

II se rappela avoir déjà rencontré cet effondrement inattendu du sol fa­milier a deux ou trois occasions. Chaque fois ses réflexes habituels de survie lui avaient permis de se raccrocher à quelques aspérités du bord, de se battre contre l’irrésistible pesanteur et, dans une frayeur mémorable, d’évi­ter la chute. Chaque fois plus marqué par I ‘expérience, il avait tenté d’être plus vigilant et de déceler ce gouffre imprévisible. II s’était renforcé aussi, en prévision d’un éventuel effondrement avenir. 

Et la béance était là, à nouveau. Dans ce bref instant de perte d’appui, la lassitude prit cette fois le pas sur le reflexe, ii accepta la terreur. A quoi bon se battre ? A quoi bon ressortir pour y retomber, demain ou plus tard ? 

II en avait maintenant la certitude, ce gouffre avait toujours été là, même avant sa découverte, et il constituerait toute sa vie, une menace invisible, à quoi bon essayer d’être plus fort à chaque fois ? Pour n’être, au final, que plus inquiet et plus tendu. Il n’y croyait plus et se sentait tellement las. 

Dans cette fraction de seconde, il perçut une présence sur le bord du gouffre. Il croisa son regard et y lit : « C’est à toi de décider d’y aller ou non. C’est TON chemin, Je ne peux pas le faire à ta place. Je ne peux pas non plus t’assurer de son issue. Quel que soit ton choix, je serai là, à tes côtés ». Sans beaucoup réfléchir, plus par lassitude que par foi, il décida d’abandonner et accepta d’être submergé par la peur, d’être envahi par la terreur. Il ac­cepta la chute dans ce noir profond, sans fond. Il consentit à l’inconnu et à linsupportable, dont le simple affleurement les fois précédentes l’avait fait réagir, se débattre et reprendre pied sur le sol. 

Et Il tomba… l’angoisse et la panique l’accompagnant. La luminosité s’était rapidement affaiblie pour faire place à la nuit. Sans repères visibles, lui restait seulement la sensation de tomber, longtemps… des heures, des Jours, des semaines, des mois…sans fin 

Après longtemps de larmes, de douleurs, de désespoir, de solitude, de chute, l’envie d’en finir, Il était presque décidé à jeter l’éponge quand il en­tendit : « Bien entendu renoncer est un chemin possible, mais certains pen­sent que refuser l’épreuve conduit à traverser à nouveau la même épreuve plus tard ». Après un temps de réflexion, l’Idée lui plut : à quoi bon faire à nouveau tout ce chemin pour arriver au même endroit ? Il s’assit, recroque­villé, et attendit… La chute se poursuivit ; mais quelque chose avait changé, peut-être s’étaitelle ralentie… 

Petit à petit Il sentit quelque chose prendre forme sous ses pieds… Un semblant de fermeté, petit à petit plus dense, la sensation d’un fond prenait consistance dans ce noir persistant. Il se risqua à lentement dépiler les bras et sentit quelque chose, une paroi dure, Dans ce noir sans relief, cette paroi le rendit curieux, Il entreprit de se lever et d’avancer à tâtons. Au terme de son exploration, il conçut que cet espace de la taille d’une pièce, clos, était le fond du trou. Mais aucune Issue ne s’ouvrait, aucune aspérité ne laissait espérer la possibilité d’une remontée…et, vers le haut, aucune trace d’espace et du ciel qu’il avait laissé en tombant.

Il s’assit et attendit. Etrangement, bien que seul, il sentait moins la solitude. Il n’était plus angoissé, il n’espérait plus une issue, mais il n’était pas désespéré non plus. C’était un état étrange, inconnu, nouveau. Il attendit encore, explorant parfois à nouveau ce fond, sans nouvelle découverte. Petit à petit, il commença à discerner quelques éléments de cet espace. Puis d’autre plus nombreux, lui donnant du relief. Dans la pénombre, ce fond lui était maintenant devenu totalement visible…un autre changement s’amorça.

Tout aussi progressivement, les murs commencèrent à s’estomper…

Après un temps, il se trouva sur le même sol, sous le même ciel que ceux qu’il avait quittés en perdant pied, sans trace des murs. Il entendit : « Bienvenu ! » Il se tourna et reconnu, à quelques pas, la présence entrevue à l’orée du gouffre, longtemps auparavant : « Quel chemin… ! » Il acquiesça.

Il était intimement convaincu que désormais plus aucune béance n’était tapie quelque part, invisible et menaçante.

L’évidence de sa survie lui étant établie…Il lui restait à vivre. »

Jean-Louis Lamouille est psychologue du travail à Grenoble / Isère.
Il intervient sur toute la région Rhône Alpes en entreprise (Diagnostic social) pour la qualité de vie au travail, la prévention du burn-out, les risques psycho-sociaux.
Il pratique la sophrologie, la Gestalt-thérapie et la médiation.